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GESTION - Gouverner, c’est aussi savoir compter · Le Portugal vient de nous le rappeler

PLACE DU COMMERCE (Lisbonne): Ce qu'il faut savoir pour votre visite (avec  critiques)

Pour la deuxième année consécutive, le Portugal affiche un excédent budgétaire, avec une croissance à 1,8 %. Une trajectoire spectaculaire pour un ancien membre des « PIGS » qui démontre qu’un budget à l’équilibre naît de la maîtrise des dépenses, pas d’une augmentation frénétique des taxes dans un tonneau des Danaïdes.

Il est désormais de bon ton, lorsque l’on parle de rigueur budgétaire et d’efficacité économique, de tourner le regard vers l’Europe du Sud, et notamment le Portugal. De fait, en plus de l’Espagne et de l’Italie, voilà qu’un autre ancien membre des fameux « PIGS » – que l’on croyait (jusqu’à récemment) condamnés au déficit perpétuel et à la dette éternelle – s’invite dans le club des bonnes surprises budgétaires.

Et il y a de quoi être admiratif : pour la deuxième année consécutive, Lisbonne affiche un excédent budgétaire, de 0,7 % du PIB en 2024 et 0,1 % en 2025 selon la Commission européenne, un succès presque exotique sur le continent. Le tout avec une croissance soutenue à 1,8 % en 2025 contre 0,9 % pour la zone euro, et une inflation contenue à 2,1 %, dans la moyenne. Cette partition économique harmonieuse devrait inspirer les pays désaccordés du Nord, à commencer par la France. Car oui : les finances publiques sont un sujet terriblement ennuyeux… mais absolument indispensable pour mener une politique économique stable et crédible. Et pour apprendre cette chanson, trois couplets doivent être chantés dans l’ordre.

Premier couplet : un budget à l’équilibre ne naît pas d’une augmentation frénétique des taxes pour remplir un tonneau des Danaïdes percé par des subventions et dépenses aveugles. En France, nous creusons joyeusement notre déficit tout en saupoudrant de nouveaux impôts arbitraires. Le Portugal, lui, a choisi le sérieux. Ses recettes ont bondi entre 2021 et 2023, mais c’est son binôme avec la maîtrise des dépenses – jamais au-delà des 50 % du PIB, même au pic du Covid, puis ramenées à 42 % en 2024, contre 57 % en France – qui permet aujourd’hui l’excédent. Numérisation pour rationaliser les coûts de l’administration, masse salariale publique contenue sous 11 % du PIB, usage intelligent des fonds européens pour l’investissement : les jambes portugaises n’ont pas tremblé pour soutenir un corps autrefois vacillant. Le tout avec un taux de prélèvements obligatoires modéré, à 38 % du PIB en 2023 contre 47 % pour le champion européen toutes catégories qu’est la France.

Deuxième couplet : la rigueur budgétaire peut agacer les élus mais elle est souvent la seule à produire des résultats – résultats qui, en retour, renforcent la trajectoire économique et financière, créant une boucle vertueuse. Le Portugal nous en offre l’illustration limpide : attractif et stable, il attire les investissements (+19 % en 2024), et ses recettes s’en trouvent renforcées. Résultat : une dette en chute libre, en baisse de 40 points en cinq ans, pour atteindre 91 % du PIB en 2025, quand la France frôle les 116 %. Les salaires réels augmentent, + 3,5 % en 2023, puis + 4,6 % en 2024 – contredisant l’idée d’une austérité punitive. Ces chiffres ne sont pas que des lignes comptables, mais le résultat de politiques sérieuses qui permettent aujourd’hui des réformes bénéfiques pour la population : baisse ciblée d’impôt pour les jeunes actifs, hausse à venir des pensions, et un projet de réduction de l’impôt sur les sociétés. Quand la rigueur est récompensée, la politique retrouve des marges.

Troisième couplet, plus dissonant : si le tableau portugais mérite l’admiration, il n’est pas idyllique. Lisbonne n’a pas choisi la rigueur par passion, mais par nécessité. En 2010, un déficit de 9 % du PIB a forcé le pays à se placer sous le plan de sauvetage de la Troïka (FMI, BCE, Commission), imposant des mesures drastiques. Et les séquelles demeurent : tension immobilière, productivité modeste, chômage persistant, un tiers des jeunes à l’étranger. Le Portugal n’est pas un paradis économique. Mais sa trajectoire – ce qui nous intéresse ici – mérite notre attention. Elle montre qu’une discipline, au premier abord, grise et technique peut, en réalité, remettre un pays debout.

Nous serions avisés d’apprendre cette leçon avant d’avoir, nous aussi, à l’appliquer sous contrainte. La rigueur budgétaire ne fait rêver personne. Elle n’offre ni slogans faciles ni promesses magiques. Mais c’est le socle silencieux sur lequel se construit la crédibilité économique, la croissance et, au bout du compte, la souveraineté. Le Portugal le rappelle : gouverner, c’est aussi savoir compter.

Alban Magro, chercheur associé à l’Institut Thomas More

Les Echos

Date de dernière mise à jour : 16/11/2025

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