
Vous connaissez Hervé Le Bras. Ne dites pas non : vous le connaissez sans le connaître. Nous vous en avions parlé ici même, en 2022. Démographe octogénaire, invité régulier de tous les plateaux de télévision, Hervé Le Bras affiche un catalogue des préférences et des détestations tout à fait classique - et même un peu ringard. Il n’aime ni les politiques natalistes (il en a tiré deux livres, dont un s’appelle, avec beaucoup de délicatesse, Marianne et les lapins), ni les statistiques ethniques, ni l’expression « Français de souche », dont il estime qu’elle ne recouvre aucune réalité. Deux de ses livres les plus récents vous donneront, si son visage ne vous dit rien, une idée précise de la pertinence de ses prises de position : Grasset, qui a publié en 2022 Il n’y a pas de Grand Remplacement, publiera en 2025 son tout dernier opus, Il n’y a pas de race blanche.
Tout dernièrement, Hervé Le Bras donnait une interview au journal en ligne Off Investigation. Il y a tenu des propos qui étonnent un tout petit peu. Pour lui, en effet, il y a une contradiction dans les termes lorsque quelqu’un critique l’immigration et dit, dans le même temps, que l’on prive un pays de ses médecins ou de ses ingénieurs. « C’est donc qu’on en profite, puisqu’on les prive », conclut cet excellent homme, hilare. Et, donc, l’immigration est une chance, puisqu’on en profite : c’est à nous de tirer cette conclusion, mais elle nous est déjà passablement soufflée…
Reprenons. « Profiter » des médecins ou des ingénieurs d’un autre pays demeure tout de même rare, par rapport au volume de migrants qui entrent chaque année en France, c’est-à-dire plusieurs centaines de milliers. Par ailleurs, oui, nous privons ces pays de leurs élites… quand elles viennent chez nous. Quiconque a discuté avec des ressortissants d’un pays comme le Maroc, par exemple, conviendra du fait que les pays dits « du Sud » ne nous envoient pas toujours leurs pointes de tungstène - ce que, par exemple, confirme leur sur-représentation dans la population carcérale. Cet argument, qui consiste à dire, en creux, que nous avons besoin des migrants d’excellence qui nous arrivent chaque année, est à la fois faux et bête.
L’expression « boomer » siérait bien à Hervé Le Bras si elle ne jetait pas l’opprobre sur beaucoup d’autres gens de son âge qui, eux, n’ont jamais rien fait de mal, jamais rien dit d'incongru, et paient pour les figures de leur génération. Disons qu’il est parfaitement dans l’air du temps, et ce, depuis trente ans et même plus. Il n’y a pas de Grand Remplacement mais des nouveaux arrivants, heureux de coloniser notre pays qui, n’en déplaise à M. Le Bras, gagnerait à avoir davantage d’enfants. Il n’y a pas de race blanche, mais il y a un racisme anti-Blanc. La preuve par Crépol. Bref, le réel n’existe pas et Hervé Le Bras est le prophète d’un rêve de concorde universelle qui n’existe que dans sa tête et celle de ses camarades. Un petit tour au bout de la ligne 13 ou du RER D devrait lui suffire à répondre à trois questions. Premièrement, rien n’a-t-il changé depuis la fin des années 60, celles de ses vertes années ? Deuxièmement, le Grand Remplacement est-il une illusion d’optique ? Troisièmement, se sent-il le bienvenu, dans la France telle qu’elle advient ?
Il y a fort à parier que de telles questions foudroieraient sur place les certitudes aveugles d’Hervé Le Bras, qui est à la démographie ce que Philippe Meirieu est à la pédagogie : un dinosaure que la météorite du réel a épargné…
Jean-Pierre Dermagne