
Le 29 juillet 1836, après trois décennies de chantier, l’Arc de Triomphe de l’Étoile est enfin inauguré à Paris. Cet édifice monumental s’inscrit alors dans une tradition antique et célèbre les armées de la Révolution et de l’Empire. Commandé par Napoléon Ier en 1806, il a traversé les régimes, les guerres et nombres de bouleversements politiques avant de voir le jour sous la monarchie de Juillet, lors d’une cérémonie d’inauguration bien discrète pour l’un des plus grands et plus beaux monuments de Paris.
L’Arc de Triomphe de l’Étoile s’inscrit dans une tradition remontant à la Rome antique. À l’origine, les arcs de triomphe étaient des monuments honorifiques destinés à célébrer le retour victorieux des généraux ou des empereurs romains, incarnant ainsi le prestige militaire et l’ordre impérial dans l’espace urbain. L’arc de Titus, édifié en 85 apr. J.-C. sur la via Sacra à Rome, est l’un des modèles les plus connus du genre. Ces monuments servaient également à la communication politique : en glorifiant les victoires militaires, ils asseyaient la légitimité du pouvoir en place. C’est ce modèle que l’Empereur chercha à reproduire au début du XIXe siècle, dans un style néo-classique monumental.
Une genèse napoléonienne
Le lendemain de sa victoire d’Austerlitz, Napoléon déclara à ses armées victorieuses : « Je vous ramènerai en France. Vous ne rentrerez dans vos foyers que sous des arcs de triomphe ». Rentrant le 18 février 1806 à Paris, il ordonne ainsi la construction de cet édifice au cœur de Paris qu’il souhaite également embellir : « Paris manque de monuments, il faut lui en donner ». Le site choisi par les architectes, la place de l’Étoile, domine alors un axe stratégique, imposant et rejoignant le Palais des Tuileries. Après l’incendie et la destruction de ce dernier lors de la Commune en 1871, l’Arc de Triomphe de l’Étoile fit désormais face à l’Arc de Triomphe du Carrousel, créant ainsi un dialogue monumental entre ces deux œuvres napoléoniennes.
L’architecte Jean-François Chalgrin est désigné pour diriger le projet. Les travaux commencent rapidement, mais la taille colossale et le coût important de l’édifice ralentit le chantier. En 1810, à l’occasion du mariage de Napoléon avec Marie-Louise d’Autriche, une maquette grandeur nature en bois et toile est érigée pour permettre le passage du couple impérial sous un arc factice mais déjà symbolique. Cependant, la chute de l’Empire en 1814 met un coup d’arrêt à la construction. L’édifice inachevé reste à l’abandon au début de la Restauration. Louis XVIII et Charles X relancent partiellement les travaux, malgré les réticences des plus farouches monarchistes, et tentent de réorienter l’hommage: l'arc honorerait l’Armée des Pyrénées, qui, en 1823, avait réussi à rétablir sur le trône d’Espagne leur cousin Bourbon, Ferdinand VII.
La relance sous la monarchie de Juillet
Avec l’arrivée au pouvoir de Louis-Philippe en 1830, après les Trois Glorieuses, l’Arc retrouve une place d’importance dans la politique nationale. En effet, le roi des Français veut bâtir sa légitimité, par un esprit de concorde, sur une synthèse entre la Révolution, l’Empire et la Monarchie. Il décide donc de terminer l’Arc de Triomphe en hommage à toutes les armées françaises depuis 1792, et non plus seulement à celles de Napoléon. Lui-même avait commandé les armées révolutionnaires jusqu’en 1793.
L’architecte Guillaume-Abel Blouet reprend les travaux en 1832 et coordonne les ajouts décoratifs commandés à plusieurs sculpteurs. On peut alors citer François Rude, père du célèbre haut-relief La Marseillaise incarnant la ferveur révolutionnaire, ou Antoine Etex et Jean-Pierre Cortot, qui sculptèrent d’autres scènes sur le monument. En parallèle, des commissions militaires rédigent des listes comportant 30 noms de batailles décisives de la Révolution et de l'Empire, 96 hauts faits d’armes et 384 généraux. Ces derniers doivent être inscrits dans la pierre du monument afin que, pour l’éternité, la France se rappelle d’eux.
Une inauguration discrète et politique
Enfin, après trente ans de chantier, le monument est achevé en juillet 1836. Louis-Philippe choisit la date du 29 juillet, sixième anniversaire de son arrivée au pouvoir, pour organiser l'inauguration. Cependant, cette dernière, prévue pour être grandiose et en présence du roi, est annulée en raison de risques d’attentat à son encontre.
On décide néanmoins d’organiser une petite cérémonie, presque clandestine. C’est donc à 7 heures du matin, dans un Paris encore endormi, que l’Arc de Triomphe est officiellement inauguré. Seules onze personnes sont présentes : le président du Conseil des ministres Adolphe Thiers, le ministre des Finances Antoine Maurice Apollinaire d’Argout, six gardes nationaux, le gardien du monument et deux visiteurs officiels. Le soir, les Parisiens sont autorisés à s’approcher du monument pour admirer, à la lueur ardente de 700 becs de gaz, les gloires de la France.
Cependant, rapidement, des critiques surgissent. Certains s’insurgent contre l’absence de certaines batailles ou de noms de généraux, à l’instar de Victor Hugo, s’attristant de ne point voir le patronyme de son père, Léopold-Sigisbert Hugo, pourtant général de Louis XVIII. Les autorités répondent à ces remarques en ajoutant de nouvelles inscriptions jusqu’en 1895. En 1921, son caractère militaire sera encore renforcé avec l’inhumation du corps du Soldat Inconnu sous ses arches. L’Arc de Triomphe a traversé tous les régimes, chacun y laissant son empreinte, pour demeurer à jamais le symbole intemporel de la gloire militaire de la France.
Eric de Mascureau