
Vous ne connaissez pas Tilly Nordwood ? Le petit monde d’Hollywood, lui, la connait bien et vous allez bientôt apprendre à faire connaissance, même si mademoiselle Norwood Tilly n’existe pas vraiment, cette jeune starlette en devenir étant le fruit de l’intelligence artificielle. Pour le moment, elle n’a encore rien tourné. Mais Eline Van der Velden, qui l’a enfantée sur un clavier, y voit « la prochaine Scarlett Johansson ou Natalie Portman. » Elle-même ancienne actrice, cette Néerlandaise de 39 ans est à son affaire, ayant fondé sa propre société de production, Particle 6, en 2015, elle s’est depuis spécialisée dans la création de vidéos générées par l’IA. Il est vrai que celle qui nous présente Tilly Nordwood est impressionnante de réalisme ; même si tournée sans décors et êtres humains.
Les artistes, plus inquiets de leur job que de celui des ouvriers …
Sans surprise, l’affaire suscite la polémique Outre-Atlantique. Ce n’est pas la première du genre, l’IA commençant peu à peu à remplacer ces graphistes et informaticiens vivant des effets spéciaux, sans oublier nombre de scénaristes qui pourraient bientôt se retrouver au chômage. En France, ce sont également les doubleurs qui commencent à s’inquiéter qu’on puisse contrefaire leurs voix ; c’est-à-dire leur outil de travail. Mais comment lutter contre une technologie de plus en plus efficace et de moins en moins chère ? Ce serait du jamais vu de mémoire humaine. Certes, on peut comprendre l’inquiétude de nos chers artistes, quoiqu’on ne les ait jamais vus se mobiliser plus que ça, quand d’autres avancées technologiques privaient les ouvriers de leur gagne-pain, quand des pans entiers de l’industrie, européenne comme américaine, s’en allaient s’installer à l’étranger. Là encore, c’était moins cher et tout aussi pratique. Faire produire des objets de consommation courante par des esclaves étrangers pour la revendre à bas prix à des chômeurs nationaux ne participait pourtant pas exactement d’un projet marqué du sceau de cet humanisme de résistance, si en vogue sur les tapis rouges. Pour le moment, seuls les troisièmes couteaux hollywoodiens montent au créneau : Melissa Barrera, Mara Wilson ou Lukas Gage ne semblent pas être les Meryl Streep ou Antony Hopkins de demain. Avant que Tilly Norwood ne fasse de l’ombre à ces derniers, il y a encore un peu le temps de voir venir. Mais qui sait ?
D’ailleurs, la miss IA ne dépareille guère, comparée à ses actuels contempteurs : yeux vides, sourire niais et QI de 95 C. Dans n’importe quelle agence de casting de la Cité des anges, il suffit de donner un coup de pied dans l’escalier pour voir dégringoler autant de tromblons de cet acabit. Mieux, mademoiselle Norwood, elle au moins, arrivera à l’heure sur le tournage, texte appris au rasoir et sans reste de gueule de bois de la veille. Tout bénef donc, pour les producteurs.
Les musiciens menacés à leur tour …
Mais il n’y a pas que le cinéma à être touché ; la musique aussi. Ainsi, The Velvet Sundown, groupe entièrement généré par intelligence artificielle, dont le titre Dust In The Wind, est actuellement l’une des plus courues sur les plates-formes. Ni bonne ni mauvaise. Juste médiocre. Tout ça pour ça : si on veut une mauvaise chanson, il suffit de demander à U2.
Pour la petite histoire, rappelons que, dès le début des années 80, un premier galop d’essai avait été tenté, visant à créer un présentateur télé virtuel avec Max Headroom, auquel l’acteur américano-canadien Matt Frewer prêtait alors ses traits.
Comme on le voit, la technologie a fait quelques progrès depuis. Les gros pixels qui tachent relèvent désormais de l’histoire ancienne ; mais déjà, l’intention y était. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », pouvait-on lire jadis sous la plume de Rabelais. Et la « science » qui a accouché de Tilly Nordwood, de par sa nature prométhéenne, n’est jamais qu’une imitation ; imitation certes quasiment parfaite, mais imitation tout de même. C’est la créature du baron Frankenstein ; comme quoi, on n’en sort pas. Alors, bien sûr, l’IA permettra peut-être un jour de singer l’œuvre de Mary Shelley, mais ne saura jamais initier un tel mythe, issu de l’imagination de notre belle Anglaise, qui elle-même puisait à la source d’autres mythes plus anciens. Tout comme elle pourra offrir un vague succédané de Yesterday, la légendaire chanson de Paul McCartney, mais sera incapable d’en rêver, tel notre artiste qui l’entendit en plein songe, alors que les muses venaient lui soupirer à l’oreille. Pas la peine d’être croyant ou même mystique pour sentir ce qu’il y a de profondément malsain dans cet hubris, poussant certains hommes à vouloir égaler ce qui nous dépasse.
L’autre grand remplacement …
Le fameux « grand remplacement », forgerie sémantique due à l’écrivain Renaud Camus à propos de l’immigration de masse, en cache peut-être un autre. Ainsi, pour le capitalisme mondialisé, tous les êtres humains sont interchangeables, au gré de la religion du marché. Nous voici à l’étape suivante : nous voilà tous menacés d’être remplacés par ces machines, toujours plus économiques, toujours plus performantes. Il y en a qui appellent ça le progrès.
Nicolas Gauthier