
Mercredi 10 Décembre 2025. Macron a entrepris un tour de France à la rencontre des lecteurs de la presse régionale sur les enjeux démocratiques à l’heure des réseaux sociaux et des algorithmes. Il s’arrête à Saint-Malo en Ile et Vilaine, et répond aux questions des lecteurs de Ouest-France sur la dérive des plateformes :
« Les réseaux sociaux nous apportent énormément au quotidien, mais force est de constater qu’ils nous échappent depuis une quinzaine d’années, il nous faut donc reprendre leur contrôle … Cela passe par des interdictions et des régulations, par de l’instruction et de l’éducation …
Les réseaux sociaux ne sont pas faits pour nous informer, mais pour capter un maximum d’informations sur nous. L’endroit pour s’informer, c’est la presse, le débat public. L’information a une valeur et un coût. Face aux dérives, il est nécessaire d’exiger la fermeture des faux comptes et le retrait des messages haineux. Autres impératifs : accélérer le travail de la justice face aux dérives, durcir le droit européen, et forcer les plateformes à nous permettre d’avoir une vie démocratique normale…
Environ un tiers des contenus diffusent de fausses informations climatiques … L’on vit dans un monde qui s’est transformé, où l’obscurantisme revient. Où le complotisme est là. Ces deux sujets, santé et environnement, sont remis en cause. Des gens sont écartés de l’esprit des lumières …
Des familles sortent de la vaccination car ils ont lu sur Internet qu’il fallait le faire. On se bat pour que les décisions soient prises sur une base scientifique libre et indépendante ».
Aucune objection dans la salle. Les interlocuteurs, bien sûr triés sur le volet et acquis au président, partagent le constat de Macron. L’anonymat des expressions se multiplie sur les plateformes. Les fausses informations notamment climato sceptiques et sanitaires circulent sur ces plateformes et s’intensifient. Des fake news voyagent massivement. « La fracturation de la société » s’opère au bénéfice des extrêmes. Il y a des risques d’ingérence étrangère lors des élections.
Des questions sélectionnées à l’avance. Un public choisi et assimilé. Absence de débat. Refus de la contradiction. Et un homme qui pérore, qui palabre, qui prêche. C’est du Macron tout craché.
Du Macron pur jus. Un Macron qui assène ses vérités, qui assomme son auditoire, qui décoche ses flèches. La vérité sanitaire, c’est Macron. La vérité climatique, c’est Macron. La vérité scientifique, c’est Macron. La vérité démocratique, c’est Macron. La vérité de Macron est une donnée indiscutable. La Vérité avec un V majuscule, c’est Macron, réincarnation de Jupiter sur la terre.
Cette vérité, on la trouve dans la presse, la presse mainstream subventionnée, bien sûr. Les réseaux sociaux, les médias alternatifs, produisent et alimentent de fausses informations, des fake news. Par leur faute, la société se brise et s’ouvre aux extrêmes. Les dissidents sont des complotistes, obscurantistes, haineux, qui n’ont pas accès à « l’esprit des lumières ».
Alors Macron propose ses solutions : reprise du contrôle des réseaux sociaux, interdictions, régulations, instruction, éducation, intervention de la justice, raidissement du droit européen, contrainte, fermeture des faux comptes, effacement des messages haineux.
En réalité, Macron utilise un procédé beaucoup plus subtil pour éliminer toute opposition en douceur. Il certifie la « bonne parole d’Etat, il disqualifie la « mauvaise parole », et il dénonce le désordre démocratique.
Un Etat démocratique permet le débat, la contradiction, et sanctionne parfois. L’Etat de Macron catalogue ce qui est fiable, ce qui est douteux, ce qui dangereux, ce qui est à déclasser, ce qui est à surveiller. Le politique ne discute plus, il trie.
Macron lutte contre la désinformation et lui-même définit la désinformation. Et tout le monde approuve la lutte contre la désinformation. Une lutte moralement inattaquable, juridiquement élastique, politiquement redoutable. Ce mécanisme repose sur des partenariats Etat-plateformes, des circuits d’alerte, des outil:s de signalement, des procédures de déclassement, une pression médiatique et administrative continue. On ne censure plus frontalement. On altère la visibilité des paroles gênantes jusqu’à leur disparition.
Le macronisme est une méthode de gouvernement, méthode qui sanctifie Macron et discrédite et déshonore les dissidents et autres opposants. Macron remplace le politique par la procédure, avec des magistrats à sa botte. Il remplace le conflit par la pédagogie, une pédagogie de bas étage qui s’adresse à des mougeons. Il remplace la souveraineté par la conformité, l’adéquation, la convenance. Il remplace l’opposition par le dénigrement, la déconsidération, la diffamation.
Le dissident est forcément haineux. Mais qui hait la France ? Qui hait le peuple français de souche ? Macron multiplie les jugements de valeur, les qualificatifs humiliants, méprisants, et infamants, à l’encontre des adversaires. Il n’interdit pas ou interdit peu, il rend illégitime ce qui conteste, anormal celui qui proteste : complotiste, obscurantiste, dans les ténèbres. Toute objection devient injustifiée, injuste, immotivée, infondée, irraisonnable.
La parole libre n’est plus fausse ou vraie. Elle devient problématique, à risque, potentiellement dangereuse, non alignée. Il faut donc l’éliminer pour laisser la place à la parole officielle. Le langage de la sécurité se substitue au langage de la liberté. On ne dit plus « c’est faux », on dit « c’est dangereux ». Un basculement autoritaire doux s’effectue.
Macron ne tolère pas la contradiction, valide la réalité, sa réalité, administre la parole, sa parole, certifie le vrai, son vrai, neutralise le faux, son faux, parce qu’il n’est pas sûr de lui, il est inquiet, il doute de lui-même, et il a une nature despotique.
Avec Macron, l’Etat finance les « bons médias », signale les « mauvais contenus », coopère activement avec les plateformes, trace les circuits de légitimité, stigmatise publiquement les contre-discours. L’Etat n’est plus un Etat neutre. L’Etat devient arbitre de la réalité autorisée. L’Etat devient exclusif, partisan, sectaire, tendancieux.
Le macronisme croit à cette illusion : on peut gouverner durablement sans être cru, à condition de contrôler ce qui est visible. Le régime macronien a besoin de certifier la vérité, de filtrer la parole, de surveiller le discours, de disqualifier l’opposition. Il est entré dans l’ère du contrôle défensif. Labelliser la « bonne parole » et écraser la « mauvaise parole », c’est l’aveu d’un pouvoir qui ne croit pas à la force du débat … Et qui prétend être démocratique.
Le coeur du problème est juridique. Et la justice fait cause commune avec le politique. La séparation des pouvoirs n’est bonne que pour les textes et les discours flamboyants.
L’Etat français réprime les infractions constituées et protège l’ordre public … en principe. Désormais, il revendique un droit d’anticipation sur la parole elle-même, à la suite d’un signalement, d’une coopération avec des plateformes privées. C’est de la gouvernance préventive du discours.
Le cadre central, c’est le DSA, Digital Services Act, adopté par l’Union européenne. Les plateformes deviennent acteurs juridiquement responsables des contenus. Elles doivent évaluer les « risques systémiques », supprimer les contenus « illicites », coopérer avec les autorités nationales, sous peine d’amendes massives extraterritoriales. La plateforme devient l’exécutant direct du soupçon.
En France, ce dispositif s’adosse à plusieurs autorités : l’ARCOM, Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, la CNIL, Commission nationale de l’informatique et des libertés, le contrôle juridictionnel du Conseil d’Etat, tous organismes à la solde du pouvoir macronien. Le mécanisme fonctionne ainsi :
1- Contenu signalé comme « problématique ».
2- Pression administrative ou médiatique.
3- Auto-censure de la plateforme.
4- Disparition sans jugement pénal.
5- Possibilité de recours … théorique, tardif, coûteux.
La sanction précède le procès.
En droit classique, seules les infractions clairement caractérisées peuvent être réprimées. Mais le vocabulaire a changé. Désormais, la « désinformation », le « contenu nuisible », le « discours problématique », l’ « atteinte au vivre-ensemble », le « risque informationnel », peuvent être poursuivis et réprimés.
Ces notions sont politiquement extensibles, juridiquement floues, parfaitement exploitables contre l’opposition. Et Macron ne s’en prive pas. Macron en use discrètement et à profusion.
On est passé du droit du délit au droit du soupçon.
L’Etat ne censure plus directement. Il organise la censure par délégation contractuelle et règlementaire par divers moyens : chartes de « bonne conduite », partenariats institutionnels, cellules de « lutte informationnelle », circuits de signalement rapides, pression budgétaire indirecte.
La censure n’est plus un acte. La censure devient un écosystème.
Le Conseil d’Etat reste formellement le garant des libertés. Mais dans les faits, le contenu est supprimé avant la décision, l’audience intervient après la disparition, le débat juridictionnel devient symbolique, l’effet réel est déjà produit.
Le contrôle existe en droit. Mais ce contrôle est neutralisé en pratique par la vitesse administrative.
La liberté d’expression est protégée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, par la Constitution, par la Convention européenne des droits de l’homme. Mais une rupture silencieuse s’est installée. La restriction n’est plus seulement législative. Elle est indirectement procédurale, économique et algorithmique. Ce modèle échappe au contrôle constitutionnel classique.
On ne juge plus seulement : un acte, une infraction, un propos précis. On traite désormais : un risque informationnel, une trajectoire de discours, un potentiel de nuisance narrative. La vérité devient une catégorie administrative. Macron poursuit les vérités de ce type.
L’Etat ne protège plus la liberté d’expression. Il pilote et régente la liberté d’expression sous condition. Et Macron fixe les conditions.
Nous entrons dans un régime de contrainte préventive du discours, caractérisé par :
absence de condamnation préalable,
délégation de la sanction à des acteurs privés,
flou des incriminations,
lenteur du contrôle juridictionnel,
extraterritorialité du droit.
Ce modèle légal marque une rupture structurelle avec l’esprit libéral du droit de la presse. Cette rupture juridique commence dans le langage de la protection.
Ainsi, il existe une Vérité officielle, vérité sanitaire, vérité climatique, vérité du genre, vérité de l’euthanasie, vérité de l’Ukraine … C’est la Vérité de Macron. Une vérité indéniable et incontestable. Quiconque s’écarte de cette vérité, seulement par la parole, est passible de lourdes sanctions, amendes, peines de prison, mort sociale … Certains ont payé de leur vie, mais en l’absence de preuves, on ne peut rien affirmer.
Jean Saunier