80e anniversaire de la Libération. Yvette n’a pas oublié le soldat SS qui l’a mise en joue

Installée à Montmerrei, Yvette Chemin a vécu dans le Perche pendant la Seconde Guerre mondiale. Un an avant le Débarquement, un soldat SS l’a mise en joue.

Yvette, Débarquement.

Ce matin-là, Yvette Chemin aurait pu y laisser la vie. Le cœur de l’adolescente de 15 ans s’est arrêté un court instant, qui lui semblait une éternité. On est en 1943, sous l’Occupation nazie. La jeune fille a été mise en joue par un soldat allemand alors qu’elle allait chercher du lait.

«À 10 heures le soir, les soldats passaient dans la rue»

Installée depuis 1960 dans le village de Montmerrei, près d’Argentan (Orne), Yvette Chemin a vécu la Seconde Guerre mondiale dans le Perche, à Soligny-la-Trappe. « Quand on était jeunes, c’était une vie », confie la retraitée, sous les chants de ses oiseaux.

À cette époque, la Percheronne travaille dans un comptoir moderne. Sa mère est décédée quand elle avait 4 ans, son père quand elle en avait 9, elle vivait chez sa sœur aînée. Après le certificat, elle a été placée. « J’aurais voulu travailler dans la comptabilité. À 13 ans, au boulot, comme bonne à tous faire. Je faisais tout, même scier le bois des fois la nuit, au sous-sol .»

Nous, les jeunes, on se rassemblait derrière le restaurant

Yvette Chemin

Les Allemands avaient pris leur quartier dans le village en 1941. « À 10 heures le soir, il fallait être rentré. Les soldats passaient dans la rue. Nous, les jeunes, on arrivait à se rassembler derrière le restaurant, dans une cour. Le patron laissait la porte ouverte. Quand on entendait les militaires avec leur “marche élégante”, dit-elle avec ironie — on les entendait de loin —, on se taisait. On se déchaussait pour partir en silence. Certains devaient parcourir 500 ou 600 mètres. Moi, j’avais juste la rue à traverser. »

Comme tous les matins, l’adolescente va chercher du lait avec sa timbale.

À la fin de cette année 1943, les Allemands avaient ramené du matériel pour se rapprocher de la côte

Yvette Chemin

Elle emprunte une petite route empierrée, réservée aux voitures. Elle se retrouve nez à nez avec un soldat qui l’arrête et la braque. « On prenait cette route pour éviter de faire un grand détour, mais c’était la plus dangereuse. »

« Il m’a mise en joue et a armé son pistolet »

«Il m’a mise en joue et a armé son pistolet.» Le propriétaire de la ferme vole à son secours. « Il a entendu le déclic du pétard, il est venu vers moi et m’a pris par l’épaule et m’a fait rentrer dans sa maison. Il a fait signe au soldat, mais je pense que le patron de la ferme a eu très peur. Il savait que je passais par là tous les matins pour aller chercher mon lait. »

« Il m’a dit de rentrer dans la cuisine et a dit à sa femme de me chauffer quelque chose. Il a ajouté qu’il allait me le chercher, mon lait. »

« Après cet épisode, le propriétaire de la ferme a dit à ma cousine que je ne devais plus passer par là. »

Yvette Chemin pense qu’elle n’a pas eu peur. Cette image, elle est restée gravée à jamais dans sa tête. « Ça marque à vie. » Un peu plus de quatre-vingts ans plus tard, la nonagénaire revoit le soldat allemand, face à elle.

C’était un jeune, il était un peu plus vieux que moi. Il devait avoir dans les 18, 19 ans. Il faisait partie d’un régiment SS. Ceux qui étaient sur place, on n’avait jamais affaire à eux. Le dimanche, on faisait beaucoup de marche. On jouait aux jeux de dominos, de cartes…

Yvette Chemin

Le patron de la ferme avait trois fils. «Un qui avait mon âge, un plus jeune et l’autre plus vieux. Pendant la guerre, le dimanche, on se rassemblait tous ensemble. Et on faisait beaucoup de marche. On jouait aux jeux de dominos, de cartes… L’hiver, il nous laissait une petite salle pour nous, principalement. Les gens étaient très, très gentils. Des fois, ils nous apportaient un café chaud. C’était super sympa.»

« Leur chef les avait vendus, il a été tué sur place »

Yvette Chemin vivait sa sa vie d’adolescence, insouciante. Mais la cruauté de la guerre est toujours présente. Ses trois frères étaient mobilisés. «Le plus jeune d’entre eux faisait partie de la Résistance. Il a été déporté avec son patron, le fils du patron et le meunier. Mon frère est mort en Allemagne », dit-elle avec tristesse.

C’est leur chef qui les avait vendus. Il a été tué sur place. C’était à Saint-Aubin-de-Courteraie

Yvette Chemin

À la fin du conflit, l’Ornaise se trouvait chez elle. «Nous avons été libérés par les Américains et ça avait bardé. Il y a un carrefour, dans le centre-bourg de Soligny. Une route qui traverse en direction de la Trappe, et une autre sur l’axe Moulins-Tourouvre. Les Américains arrivaient par le bourg et les Allemands par Moulins. On était dans le bourg. Il y a eu une bagarre, quatre Allemands ont été tués. Ils ont été enterrés dans le cimetière de Soligny.»

«Le maire a exigé que les jeunes les accompagnent jusqu’au cimetière. Ils étaient mis dans les draps puis dans des sacs et balancés dans des fosses communes.»

Yvette Chemin et ses copains ont assisté à la mise en bière de ces soldats. « Même si c’étaient des étrangers, ce sont d’abord des êtres humains. »

L’adolescente était partagée entre « la joie » et « la déception » :

La joie de voir des soldats ennemis tués et la déception parce que ce sont des êtres humains

Yvette Chemin

« À cette époque, quand les bébés mouraient, la médecine n’était pas assez avancée. Les jeunes du village devaient les porter. Les bébés filles par des filles, les bébés garçons par des garçons.» C’était dur à vivre. «Surtout quand c’étaient des petits voisins que l’on connaissait. »

Après la Libération, les bals ont commencé. « On a commencé à reprendre vie. »

Yvette donnera vie à sept enfants et onze petits-enfants.

Amine El-Hasnaouy

 

 

Date de dernière mise à jour : 19/04/2024

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