
Au déjeuner, c’est jambon-beurre et soupe à la grimace. Devant la sandwicherie de la gare, la file d’attente s’allonge, les sourcils se froncent et les épaules se haussent. « Tout ça pour ça… », souffle l’un. « Je voulais qu’on parle du fond, qu’on ait enfin des idées », renchérit un autre. De l’avis de tous, le 81e congrès du Parti socialiste, tenu entre vendredi et dimanche à Nancy (Meurthe-et-Moselle), n’est pas une franche réussite. Il ne fut clairement pas celui de la concorde entre les roses.
Une heure plus tôt, le congrès touchait à sa fin, laissant en suspens une interrogation : comment un PS divisé peut-il fonctionner ? Il est 11 h 45 lorsque Olivier Faure, officiellement réélu premier secrétaire avec 51,15 % des suffrages, s’avance au son d’un tube de Coldplay jusqu’au pupitre pour son discours de clôture. Une poignée de drapeaux fuchsia dans les mains de jeunes socialistes flottent au rythme des acclamations.
Devant l’enthousiasme, sourire aux lèvres, Olivier Faure lâche, pour quelques instants au moins, son habituel air impassible. Une accolade par-ci, un selfie par-là. Et puis, il y a ce que les images léchées de la communication du parti ne montrent pas, ou alors de loin : ceux qui, dépités, restent les bras ballants, ceux qui font « non » de la tête ou ceux qui restent assis l’air désapprobateur.
Au premier rang, Nicolas Mayer-Rossignol (NMR), maire de Rouen (Seine-Maritime) et vaincu du congrès, applaudit des doigts. Pour la forme car les trois courants (si l’on ajoute celui du troisième homme, Boris Vallaud) n’ont pas su s’accorder sur un pacte de gouvernance. Encore moins sur la ligne stratégique.
« Anti-LFI, ce n’est pas une ligne politique »
Aux places d’honneur figurent bien tous les potentiels partenaires du PS, des Écologistes aux communistes en passant par Place publique, la CGT, la CFDT ou encore la Ligue des droits de l’homme. Seule la France insoumise manque. Trois lettres – LFI – qui ont pourtant été, ce week-end, sur toutes les lèvres, notamment sur celles de Nicolas Mayer-Rossignol et de ses partisans, déterminés à acter la rupture avec les mélenchonistes.
« Si ce parti n’est pas capable de comprendre qu’il faut de la clarté sur les alliances, alors ce congrès ne peut être une réussite », avertissait l’édile normand au début des discussions. Dans le centre des congrès flotte le parfum âcre des « gauches irréconciliables ». « Dire « plus jamais LFI », ce n’est pas possible, rétorque une proche d’Olivier Faure. Je peux dire « plus jamais Mélenchon » mais on ne sait pas de quoi l’avenir insoumis sera fait. Il ne faut pas se fermer de portes. »
À l’abri des regards, les discussions patinent. L’aile droite du PS hausse alors le ton à la tribune. D’abord avec le député Jérôme Guedj, chauffant à blanc une salle amorphe. Il s’emporte à propos de Jean-Luc Mélenchon, homme qu’il a « aimé profondément », devenu, selon lui, « un salopard antisémite ».
Loin de l’« apaisement » dont il dit être le défenseur, Nicolas Mayer-Rossignol harangue son camp : « Être fidèle au socialisme, c’est affirmer unanimement qu’il n’y aura pas, sous aucun prétexte, d’alliance avec la France insoumise. » « C’est votre discours de sortie », lâchera, à la sortie de la salle, Pierre Jouvet, proche de Faure passablement agacé, à David Assouline, lieutenant de NMR. « LFI n’est pas de gauche. Ce sont des populistes, alors pas d’alliance », appuie Lamia El Aaraje, première fédérale à Paris.
Voilà qui enterre toute possibilité de « synthèse » socialiste et de direction commune : le PS est coupé en deux. « Être anti-LFI, ça ne fait pas une ligne politique. Il n’y a que ça qui les fait tenir ensemble, sinon ils ne sont d’accord sur rien », assure l’eurodéputée fauriste Chloé Ridel. Et Jean-Luc Mélenchon s’en délecte sur X : « Si vous devez faire une scission, pourquoi pas sur un sujet de fond : l’atlantisme sous Trump, la lutte contre l’économie d’armement, les conditions de la paix en Ukraine, le bilan de votre non-censure de Bayrou, la retraite à 60 ans, l’interdiction des pesticides. Bref, quelque chose d’utile. »
Un projet socialiste d’ici à fin 2025
Il faudra attendre le dimanche matin pour qu’Olivier Faure réponde, accusant ses opposants sous une « domination psychologique de la gauche radicale » de faire du congrès un « référendum pour ou contre LFI ». « Ici, c’est le Parti socialiste ! » a-t-il tancé devant les chantres de « l’affirmation ».
Le premier secrétaire assure qu’il n’y aura pas d’accord national avec LFI aux prochaines élections, préférant une alliance de la gauche non mélenchoniste. « Certains préfèrent des coalitions de Glucksmann à Rebsamen qui siège au Conseil des ministres avec Bruno Retailleau. Nous préférons une plateforme commune de Ruffin à Glucksmann », précise Pierre Jouvet. « Si on additionne les scores d’Olivier et de Boris qui partagent la même stratégie, ça fait 60 %. La ligne a été tranchée : on ne va pas revenir sur le vote des militants », argue la députée Dieynaba Diop.
Si Olivier Faure souhaite une « candidature commune de la gauche et des Écologistes », c’est que l’heure est grave devant l’alliance de « l’extrême argent avec l’extrême droite » et la radicalisation « des logiques de prédation du capitalisme néolibéral ». À cela, le premier secrétaire oppose le « socialisme écologique », puisque « la social-démocratie de l’après-guerre n’est plus en capacité de répondre aux défis du présent ».
Ses proches promettent un projet socialiste d’ici à la fin de l’année, lequel doit être, au fil des échéances électorales, « actualisé comme les insoumis le font avec l’Avenir en commun ». Olivier Faure a déjà avancé quelques mesures consensuelles : taxe Zucman, reconnaissance de l’État de Palestine et « retirer du marché des activités dont l’accès doit être garanti à tous ».
Son processus de rédaction sera ouvert à « toutes les sensibilités du parti ». L’occasion pour les socialistes de trancher nombre de désaccords. Le plus urgent, à quelques jours de la fin du « conclave », semble porter sur les retraites.
Les partisans d’une ligne social-libérale pourraient consentir à conserver l’âge de départ à 64 ans si la CFDT arrache au Medef des concessions sur la pénibilité et l’emploi des seniors. Mais Olivier Faure assure que, si le sujet des retraites ne revient pas à l’Assemblée nationale pour l’abrogation de la réforme de 2023, ses troupes censureront François Bayrou et son gouvernement, dont le PS n’est « pas l’assurance-vie ».
Emilio Meslet