Une langue française créolisée vecteur de la déconstruction

Non, la langue française n'est pas une «créolisation réussie» comme  l'avance Jean-Luc Mélenchon

Le 18 Juin 2025, à l’occasion d’un colloque sur la francophonie, à l’Assemblée nationale, Jean-Luc Mélenchon a affirmé que la langue française ne devait plus être appelée le français : « Elle s’est répandue dans le monde à la faveur du colonialisme. » Il a cité Thomas Sankara, ancien président socialiste du Burkina Faso dans un discours de 1986 : « La langue française a été pour nous d’abord la langue du colonisateur, le véhicule culturel et idéologique par excellence de la domination étrangère et impérialiste. »
Ensuite, Mélenchon a proposé de débaptiser la langue française : « Si quelqu’un pouvait trouver un autre nom pour qualifier notre langue, il serait le bienvenu … La langue française n’est pas la propriété singulière de la France, et surtout pas de ceux qui voudraient forger l’identité française dans sa langue … La langue française n’appartient plus à la France depuis fort longtemps. »
La preuve, 29 pays l’ont comme langue officielle.
« Si nous voulons que le français soit une langue commune, il faut qu’elle soit une langue créole ». Mélenchon réimporte le terme de créolisation, popularisé par le poète martiniquais Edouard Glissant : « Je préférerais qu’on dise que nous parlons tous le créole parce que ça nous arrangerait mieux que de dire que nous parlons français et cela sera sans doute plus vrai.»
Mélenchon se réjouit : « La langue française a emprunté de tous côtés. Voilà pourquoi il y a tant de mots d’arabe en français, il y a aussi des mots russes, espagnols, hébreux. Il y a de tout et c’est tant mieux. »

A titre d’exemple, voici des termes français venus de l’arabe.
Agriculture : abricot, artichaut, orange, pastèque, pêche.
Astronomie : almanach, astrolabe, azimuth, zénith.
Commerce : bazar, chèque, douane, gabelle, magasin, tarif.
Costume : babouche, châle.
Cuisine : carafe, tasse, élixir, punch, safran sirop, sorbet.
Mobilier : alcôve, divan, jarre, matelas, sofa.
Musique : cymbale, guitare, fanfare, luth.
Sciences : alcalin, alcool, alchimie, camphre, chimie.
Techniques : alambic, coton, mousseline, sucre, taffetas.

Pour Mélenchon, la langue représente « un objet politique et culturel », mais ne constitue en rien un instrument de « soft power à la française », une puissance douce dont l’objectif serait de se répandre dans un maximum de pays pour influencer les cultures locales. « Les Français ne savent pas qu’ils sont francophones, ils parlent leur langue maternelle et oublient de regarder autour d’eux ».
La France ne saurait se résumer à une langue ou une religion. « La Nation française est une nation politique fondée sur le triptyque « liberté, égalité, fraternité ». Un message qui a une certaine universalité ».

Des médias comme Le Figaro, Valeurs actuelles, parlent de « provocation ».
Gérald Darmanin réagit : « La langue française appartient aux Français. C’est notre patrimoine le plus précieux. C’est notamment celui des Français les plus modestes, que vous méprisez dans leur identité ».
Bruno Bilde, député Rassemblement National : La langue française doit « conserver ses racines, solides et millénaires ». Il reproche à Mélenchon d’adopter une position « résolument révisionniste ».
Bernard Chaix, député UDR accuse Mélenchon de vouloir faire « disparaître le français et tout ce qui fait la richesse de notre pays ».
Laure Lavalette, députée rassemblement National, reproche à Mélenchon d’avoir une vision « anti-France ».

En fait, la proposition de renommer le français est une suggestion volontairement provocatrice pour se démarquer d’un rapport nationaliste au français. Médéric Gasquer-Cyrus déclare :
« Les liens nom de pays – nom de peuple – nom de langue (et auparavant nom de monnaie) ont favorisé des réflexes identitaires et nationalistes. »
Et comme il faut gommer les concepts d’identité et de nation, on s’attaque à la langue française.
Mélenchon propose de renommer le français en disant plutôt que c’est un « créole ». Mais qu’est-ce que le créole ?
Les créoles sont des langues de contacts, et on inclut des créoles à base arabe, italienne …
Ou bien, les créoles sont des langues nées dans des contextes socio-historiques particuliers, colonisation européenne, sociétés esclavagistes, acquisition et appropriation particulière des langues des maîtres par les esclaves. Alors, on compte des créoles à base lexicale française, espagnole, néerlandaise, anglaise ou portugaise.

Mélenchon opte pour la première définition. Et le français est un créole parce qu’il présente un substrat et un superstrat, d’une part, un support, un socle, et d’autre part, un ensemble de faits linguistiques nouveaux, phonétiques, grammaticaux, lexicaux, la langue qui cause ces changements. Dans ce cas, toutes les langues sont des créoles, et le mot ne veut plus rien dire.
En réalité, Mélenchon se fout des débats linguistiques autour de la définition du créole. Il s’intéresse uniquement à l’utilisation politique du terme.
Mélenchon ne dit jamais ce qu’il entend par « créole » sur le plan proprement linguistique. Il ne parle pas de la langue au sens grammatical, mais valorise les pratiques sociolinguistiques minoritaires, le vocabulaire d’origine étrangère, et la déformation du français courant. Derrière cette promotion sociolinguistique, il faut lire une volonté politique et idéologique de ringardiser la langue française.
Mélenchon joue clairement sur la connotation des termes « créole » et « créolisation » dans le débat politique et médiatique. La créolisation se réduit au seul métissage lexical. La grammaire n’apparaît pas dans ses propos.
Mélenchon a parlé de langue créole pour faire un coup politique et médiatique : provoquer la droite identitaire et nationaliste, et poursuivre l’évolution vers la destruction de la nation et de la France.

Le 26 Juillet 2025, Henri Guaino a adressé une « Lettre ouverte à Jean-Luc Mélenchon à propos de la langue française et de quelques autres sujets ». Voici quelques extraits :
« Car c’est bien un défi que lance, à tous ceux qui ne s’y résignent pas, cette vision post nationale et post républicaine que vous apportez désormais … Vous avez décidé de placer votre fauteuil dans ce que vous pensez être le sens de l’histoire, qui pour vous, désormais, se trouve dans la créolisation, chère au poète et philosophe martiniquais Edouard Glissant.
Il y a dans ce que vous avez dit, une part de vérité : toute culture, toute civilisation, toute langue vivante emprunte aux autres. Elles ont toutes des racines multiples, le Français comme le créole …Seules les sociétés hermétiquement fermées n’empruntent pas, mais elles dégénèrent, se dessèchent dans le totalitarisme des mondes clos et s’effondrent au moindre choc venu de l’extérieur …
Au lieu de fondre les parties dans le tout, vous voulez dissoudre le tout dans les parties … vous souhaitez remplacer le peuple français par un autre peuple et la langue française par une autre langue. Vous pensez que, pour l’un comme pour l’autre, la créolisation est en marche et que rien ne l’arrêtera …

La mondialisation de la concurrence, en conduisant à l’importation massive de main-d’œuvre à bon marché, a installé le cosmopolitisme sur le sol national, rendant la créolisation aussi inéluctable que jadis, pour les marxistes, la dictature du prolétariat … Vous vous rêvez en démiurge de la révolution du grand remplacement par la créolisation …
Vous avancez un autre argument : « Nous ne sommes pas propriétaires de la langue française. » Pour les langues, il n’y a ni brevet ni droit d’auteur et aucune œuvre de l’esprit humain n’appartient à son créateur : vous créez, l’humanité s’empare de votre création et en fait ce qu’elle veut …

Au Canada, aux Antilles, dans le Pacifique, en Afrique, on ne parle pas tout à fait le français comme en France. Ce n’est pas une raison de supprimer l’Académie française. Si la France n’est pas plus propriétaire du français que l’Angleterre de l’anglais, elle en est la matrice. Cela nous fait un devoir de maintenir une langue de référence, d’accompagner son évolution de façon ordonnée, sans brutalité, sans rupture, sans déchirure, en préservant son génie, sa logique, son harmonie. Laissons le français se déliter, et il accouchera vite d’un « globish » mondialisé.
Vous connaissez le mot de Michelet : « L’histoire de France commence avec la langue française ». Elle pourrait bien finir avec elle …
Parmi ceux qui, dans le monde, ont le français en partage, qui aiment sa littérature, qui le magnifient avec leur imaginaire, beaucoup se désolent de nos renoncements …
Renoncement, l’écriture inclusive qui se répand dans l’administration et dans l’université …
Renoncement, la féminisation sauvage des noms de fonction sans se soucier de briser l’harmonie de la langue …
Renoncement, le pédagogisme qui dit à l’élève : « Parle comme tu veux », « Ecris comme tu veux », « Découvre toi-même les règles et applique-les si tu en as envie ».
Renoncement, le quasi-abandon de l’écriture et de la lecture …

C’est l’Etat qui a permis le développement du français tel que nous le connaissons, depuis que François Ier a signé à Villers-Cotterêts, en 1539, l’édit qui le rendait obligatoire pour tous les actes juridiques, que Richelieu a créé l’Académie, que Jules Ferry en a fait la langue unique de l’école. Vous avez bien compris que, dans les circonstances actuelles, la culture redevenait un grand sujet politique. Mais vous voulez une politique de dilution multiculturelle. Je veux ce qu’il y a de meilleur dans la culture française et l’offrir à l’humanité …
En nous annonçant que le grand remplacement par la créolisation est inéluctable, vous nous rendez encore plus tangibles les menaces qui pèsent sur cette marque … (la marque française).

Henri Guaino a bien compris qu’à travers la créolisation de la langue, et donc la déconstruction de la langue française, Mélenchon a des visées politiques : la déconstruction de la France, la destruction de la France.
Dans la France du Roi Soleil, à la fin du XVIIe siècle, la langue devint l’objet d’un conservatisme théorisé et pratiqué. Le Dictionnaire de l’Académie, paru en 1694, pouvait être lu comme un monument d’une pensée conservatrice, appliquée à la langue française.
L’objectif du Dictionnaire de l’Académie était de « mettre la langue française en état de conserver sa pureté », tout en essayant de « contribuer à la perfection » de celle-ci.
La langue devait être conservée pour elle-même, pour sa valeur propre, et aussi parce qu’elle est au fondement de la culture et de la sociabilité.
Pourtant, ce conservatisme ne prétendait ni évacuer les langues anciennes, ni éliminer les langues régionales. A l’époque, conserver la langue française, c’était aussi maintenir florissantes les langues qui l’environnaient, les langues des petites patries, jugées compatibles avec la langue de la grande patrie.

Tout changea avec la Révolution. La langue devint objet et vecteur de la déconstruction du monde ancien. Pour des raisons politiques et idéologiques, l’entreprise révolutionnaire supprima toute une série de mots, de noms, de formes grammaticales. Ainsi, les termes « Monsieur » et « Madame » furent prohibés, et remplacés par les mots « citoyen » et « citoyenne », dans la vie de tous les jours, dans les documents administratifs, dans les pièces de théâtre.
Une personne utilisant les mots interdits risquait d’être considérée comme suspecte, secrètement contre-révolutionnaire, et donc potentiellement passible de l’échafaud. Les noms propres, ceux des lieux et des villes, les prénoms, furent souvent remplacés par d’autres, d’origine romaine ou spartiate.
Les langues locales étaient promises à la même élimination que les provinces. Le 4 Juin 1794, à la Convention, Barrère évoqua la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française : « Il faut détruire cette aristocratie de langage qui semble établir une nation polie au milieu d’une nation barbare. Nous avons révolutionné le gouvernement, les lois, les usages, les mœurs, les costumes, le commerce et la pensée même ; révolutionnons donc aussi la langue, qui est leur instrument journalier ».
A la République une et indivisible, il fallait une langue et une seule, pleinement conforme à la Raison.

Il faut défaire et refaire la langue afin que la langue puisse à son tour défaire et refaire la société. Dans son essai Du fanatisme de la langue révolutionnaire, Jean-François de La Harpe, écrivain et critique français (1739-1803) appelle cela « la langue inverse ». Un siècle et demi plus tard, en 1948, dans son 1984, George Orwell consacre plusieurs passages à cette inversion de la langue.

Cette idée d’une rupture s’étendant jusqu’à la pensée et au langage est un programme établi dès le XVIe siècle, dans la littérature utopique. En effet, depuis le texte fondateur de Thomas More, Utopie, paru en 1516, la plupart des utopies imaginent l’instauration d’une langue nouvelle, à côté d’une réforme des institutions et des mœurs. Cette langue nouvelle est conçue comme le corollaire du bouleversement, et comme son instrument privilégié, la « perfection » qui définit l’utopie. L’utopie a besoin d’une langue régénérée pour être dite, puis intégrée dans l’esprit et les comportements de chacun. Les totalitarismes modernes, et notamment le totalitarisme élaboré par Mélenchon, mettent en pratique ce programme.

Dans 1984, on peut lire : « La révolution sera complète quand le langage sera parfait ». Syme, le linguiste chargé d’établir la 11e édition du Dictionnaire du Novlangue énonce les principes du Newspeak, la langue officielle d’Océania : « Le véritable but du Novlangue est de restreindre les limites de la pensée. A la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour exprimer. » L’objectif ? « Rendre impossible tout autre mode de pensée » que celui qui a été défini comme correct, conforme et orthodoxe.
L’objectif ? Imposer l’unité, l’uniformité et l’égalité, à travers une langue tellement simplifiée qu’elle deviendra la langue de tous, un instrument imparable de rééducation permanente.
Cette langue totalitaire implique une rupture absolue avec la langue ancienne, « inextricablement mêlée à l’idée de perversité et de décadence ».
Le Novlangue n’a pas de passé, pas d’histoire, pas de mémoire. Ses créateurs entreprennent d’éliminer tous les archaïsmes, tous les éléments susceptibles de manifester une continuité. Il faut éradiquer, abolir tout ce qui traduit la durée. Il faut faire de la langue nouvelle une machine : « Nous détruisons chaque jour des mots, des vingtaines de mots, des centaines de mots. Nous taillons le langage jusqu’à l’os. » A terme, ce démantèlement établira une coupure définitive avec tout ce qui limitait la mainmise du Système sur les esprits.

La langue se trouve toujours dans la ligne de mire des révolutionnaires, en raison de sa dimension conservatrice, donc dans le champ de vision de Mélenchon, des gauchistes, et de tous les mondialistes. D’où le projet de créolisation de la langue française.
La langue, héritage du passé, reflet d’une histoire, fruit des usages, profondément vivante eu égard aux critères froids du rationalisme, est la trame du tissu social. Elle est aussi pour les personnes, le moyen d’échapper à l’emprise de l’Etat totalitaire.

Tout commence à l’école. L’orthographe et la syntaxe sont délaissés au profit de la créativité. L’enfant doit s’exprimer, créer, inventer en toute liberté. Et peu importent les qualités requises pour l’écriture d’un texte : l’orthographe, la correction du langage, la nature du propos, la cohérence et la logique des idées.
Avec sa créolisation, Mélenchon, grand connaisseur de la langue française, de la culture française, de l’histoire de France, de la philosophie, est le chantre de la destruction de la langue française, de la culture française, de l’histoire de France, de la philosophie. Et il le sait.
Mais il obéit à son idéologie mondialiste, cosmopolite, multiculturaliste. Cette idéologie passe par la destruction de la France, donc de la langue. A cet égard, Macron n’est pas en reste. C’est pourquoi Mélenchon appelle toujours à voter Macron.

Jean Saunier

Date de dernière mise à jour : 08/08/2025

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