
Arrivés au XVIe siècle dans cette ville devenue synonyme du génocide nazi, les juifs représentent près de la moitié des habitants à la veille de leur déportation par les Allemands entre 1940 et 1941, qui éradiquera toute présence juive sur place –ou presque.
À Oświęcim (Pologne).
Avant l'invasion allemande de septembre 1939, 8.000 juifs, soit la moitié de la population de l'époque, vivaient à Oświęcim, une petite ville du sud de la Pologne située à 60 kilomètres de l'ancienne capitale, Cracovie, au bord de la rivière Sola. En avril 1940, après l'annexion de la Pologne, les nazis y ouvrent le camp de concentration et d'extermination d'Auschwitz –le nom allemand de la ville– à l'emplacement d'une ancienne caserne de l'armée polonaise. Environ 1,1 million de victimes, majoritairement juives, y périssent.
Oświęcim, 41.000 habitants aujourd'hui, ressemble à de nombreuses petites villes d'Europe centrale, avec un centre historique coquet et vert aux abords de la rivière Sola, et une périphérie plus chaotique. C'est à l'ancien domicile de Szymon Kluger, place du père Jan Skarbek, que nous nous trouvons aujourd'hui à l'invitation du musée national Auschwitz-Birkenau. La maison abrite désormais le Café Bergson et des espaces de formation au sous-sol. L'ensemble est rattaché au musée juif d'Oshpitzin, ouvert vingt-quatre ans plus tôt sous l'impulsion de la fondation américano-polonaise Auschwitz Jewish Center Foundation.
Pour admirer ses collections, le chemin se poursuit dans la maison adjacente, «Kornreich et Dattner», du nom de ces familles juives qui y vécurent avant la Seconde guerre mondiale. L'ensemble jouxte la petite synagogue Chevra Lomdei Mishnayot, dont les deux fenêtres sont respectivement décorées d'un drapeau israélien et polonais.
Construite en 1918, la synagogue est saccagée puis transformée en dépôt de munitions par les nazis, avant de servir d'entrepôt à tapis sous le régime communiste. Après la chute du mur de Berlin, elle est rénovée par le gouvernement polonais et rouvre enfin ses portes le 11 septembre 2000. Toutefois, la communauté ayant disparu, la synagogue n'accueille que des juifs de passage, venus d'autres villes ou d'autres pays –ce qui semble expliquer son aspect presque trop neuf.
De la prospérité à l'éradication
La première mention d'une présence juive à Oświęcim remonte à 1549, après que le roi de Pologne Casimir IV Jagellon a approuvé leur établissement et confirmé leurs «privilèges», c'est-à-dire l'autorisation de vendre de l'alcool et de pratiquer l'usure ainsi que le commerce. À partir de 1636, ils obtiennent le droit d'acheter des maisons et d'autres propriétés. En 1772, ils passent, comme le reste des Polonais, sous l'autorité de l'Autriche-Hongrie, jusqu'à la création de la république de Pologne au lendemain de la Première guerre mondiale.
«La première décennie du XXe siècle fut une période très prospère, rappelle le Musée de l'Histoire des Juifs polonais. La contribution juive au développement économique de la ville se manifesta […] par la création de l'usine de papier de construction et d'asphalte Nathanson et Malcer, de l'usine de papier de toiture Landau et Wolf, l'usine de produits chimiques Union appartenant à Józef Schönker [qui] en 1906, créa l'usine d'engrais et d'autres produits chimiques Agrochemia Ltd, [sans oublier] l'usine de vodka et de liqueur [fondée en 1804 par] Jakub Haberfeld.»
Malgré l'hostilité de nombreux Polonais catholiques envers les juifs, la coexistence avec le reste de la population d'Oświęcim apparaît pacifique la plupart du temps. Cela n'empêche pas des flambées de violences antisémites, qui se soldent initialement par des dégâts matériels. C'est notamment le cas en 1918, où les nombreux commerçants juifs sont accusés de spéculation en raison de l'inflation, et leurs magasins vandalisés. Cela se reproduira dans les années 1930: lors de la Grande dépression et dans un contexte de montée généralisée de l'antisémitisme, d'autres pogroms se déclenchent.
«Les non-juifs ont pris en charge ce travail de mémoire parce que la Shoah a détruit la communauté juive d'Oświęcim.»
Tomasz Kuncewicz, directeur de l'Auschwitz Jewish Center Foundation
«La communauté juive d'Oświęcim [au XXe siècle] était plutôt orthodoxe et hassidique, rappelle depuis la synagogue Maciek Saberowski, de l'Auschwitz Jewish Center Foundation, casquette des Los Angeles Dodgers et sweat-shirt noir Puma. Ainsi, la Grande synagogue d'Oświęcim [entièrement détruite par les nazis, ndlr] séparait les hommes des femmes. La communauté, à l'exception de ses élites, vivait à l'écart du reste de la population. En 1934, la moitié des conseillers municipaux, ainsi que le maire adjoint, étaient juifs. On notait également une forte prévalence du sionisme [au travers d'organisations de jeunesse, des partis politiques et de clubs sportifs].»
Une mémoire mutilée
Après l'invasion allemande de la Pologne en septembre 1939 et l'annexion d'Oświęcim au Troisième Reich un mois plus tard, les juifs de la ville sont rapidement déportés et tués. Au terme de la Shoah, la communauté juive de Pologne, l'une des plus importantes d'Europe –environ 10% de la population polonaise avant-guerre, 20 à 30% dans certaines grandes villes–, est quasiment éradiquée. 2,7 millions de ses membres ont été assassinés, sous les balles des Einsatzgruppen, dans les ghettos nazis et dans les chambres à gaz des camps d'extermination. À Oświęcim, après l'éphémère retour de quelque 200 juifs, la communauté disparaît donc à nouveau –tout comme la plupart des traces de sa présence.
Il faudra donc attendre un demi-siècle pour que, sous la houlette de l'Auschwitz Jewish Center Foundation, cette communauté disparue retrouve, en l'an 2000, une présence dans la ville, par l'intermédiaire du musée juif d'Oshpitzin et de la synagogue Chevra Lomdei Mishnayot. La fondation restaure également le cimetière juif de la ville, désormais ouvert aux visiteurs, et crée un square commémoratif à l'emplacement de l'ancienne Grande synagogue d'Oświęcim. Elle mène aussi de nombreuses actions éducatives. Néanmoins, aucun juif ne travaille sur place au sein de l'institution.
«Les non-juifs ont pris en charge ce travail de mémoire parce que la Shoah a détruit la communauté juive d'Oświęcim», résume Tomasz Kuncewicz, directeur de l'AJCF, fine moustache et crâne rasé. Pour la même raison, le génocide des juifs a longtemps été absent de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale en Pologne, alors axée sur le martyr (bien réel) de la nation polonaise dans son ensemble. Par ailleurs, un certain révisionnisme, niant la prévalence de l'antisémitisme et la participation au génocide de certains Polonais catholiques, a toujours le vent en poupe chez les nationalistes polonais.
Antoine Hasday
