
Chaque parti voit les choses au prisme de son propre intérêt.
Cela fait plus d’un mois que François Bayrou feuilletonne sur la question de la proportionnelle aux élections législatives. Le 30 avril, il ouvrait le bal avec Marine Le Pen, au titre de représentante du groupe le plus important à l’Assemblée nationale, et, ce mardi 3 juin, c’était au tour de Marine Tondelier, patronne des Verts, accompagnée de la présidente des députés écolos Cyrielle Chatelain, de rencontrer le Premier ministre.
Retailleau : « Retenez-moi ou je fais un malheur »
Tous les partis représentés au Parlement se sont prononcés sur ce sujet, notamment les LR avec un Bruno Retailleau qui, la semaine dernière, a menacé, dans le genre « Retenez-moi ou je fais un malheur », de démissionner si le gouvernement venait à présenter un projet de loi pour instituer la proportionnelle. Une « grande scène du deux » qu’on aurait peut-être attendue, chez ce catholique assumé, sur la légalisation du suicide assisté, d'ailleurs remarquablement bien défendue par sa collègue LR Catherine Vautrin... Renaissance, Horizons se sont aussi prononcés contre la proportionnelle, à l’exception notables de quelques individualités, comme les macronistes Élisabeth Borne ou Roland Lescure. Ce dernier a du reste signé une tribune dans Le Monde, le 3 juin, avec, notamment le député LIOT Charles de Courson. De leur côté, RN, l’UDR de Ciotti, LFI et MoDem sont franchement pour la proportionnelle. Quant au PS, reçu le 20 mai dernier à Matignon, il réserve sa réponse en fonction des propositions concrètes que fera Bayrou sur le type de proportionnelle.
Sur le papier : une majorité de députés pour la proportionnelle
Au bilan, sous réserve de s’entendre sur les modalités pratiques - intégrale nationale, avec ou pas de prime majoritaire, comme l’a proposé le RN, proportionnelle à l’échelon régionale, comme le souhaitent les écolos, au niveau départementale – sur le papier, les députés favorables à la proportionnelle sont majoritaires : 123 RN et apparentés, 71 LFI, 38 écolos, 36 MoDem, 17 communistes et 16 UDR, soit 301 députés, sans compter les socialistes et quelques individualités. C’est plus qu’il n’en faut, la majorité requise étant de 289. Immense paradoxe : Bayrou, ardent partisan de la proportionnelle depuis toujours, bénéficie sur ce sujet d’une majorité, certes très théorique, mais composée principalement de ses opposants ! Une sorte de front renversé. La question est donc de savoir si Bayrou va prendre le risque de se confronter au « socle commun » qui le soutient comme la corde le pendu, notamment les LR qui jouent une partie de judo assez habile depuis qu’ils sont entrés au gouvernement. Autre risque : que le RN et son allié UDR, qui, jusqu’à maintenant ont été relativement indulgents avec Bayrou, finissent par baisser le pouce. Les « grandes annonces » que va faire Bayrou avant le 14 juillet pour rétablir les comptes publics pourraient en être l’occasion. Bref, Bayrou est coincé.
La menace du retour du « régime des partis »
Quoiqu’il en soit, on a bien compris que cette question de la proportionnelle n’est finalement vue qu’au seul prisme des intérêts électoraux à court terme de chaque parti. Au point que cela en est presque caricatural : il faut lire la proposition de loi déposée par les LR, la semaine dernière, pour carrément constitutionnaliser le mode de scrutin uninominal à deux tours aux élections législatives, pour s’en convaincre. On ne change pas d'assurance-vie comme ça.
Mais il serait peut-être temps de mettre fin à un mythe. Celui qui veut que dans le mode de scrutin actuel « les citoyens choisissent un député qu’ils connaissent », pour reprendre l’exposé des motifs de la PPL des LR (après que l'auteur de ces lignes a corrigé la monstrueuse faute d’orthographe relevée dans la PPL…), alors qu’avec la proportionnelle, on aurait à faire à une « liste dont la plupart seraient là parce que cooptés et pour service rendu à leur parti », toujours selon l’exposé des motifs de cette PPL. Posons-nous, honnêtement - si c'est possible - cette question : combien de députés, sur les 577, sont vraiment élus sur leur seule personnalité ? Faut-il rappeler les vagues de « godillots » (le terme n'est pas forcément péjoratif, l'obéissance étant la force principale des armées !), gaullistes, puis socialistes, enfin macronistes, qui se sont succédées au Palais Bourbon depuis que la Ve République existe ? Combien de fois n’a-t-on pas entendu cette méchanceté : « Une chèvre aurait été élue » ? D'ailleurs, connaît-on beaucoup de candidats à la députation élus sans l’investiture et le soutien d’un parti ? Investiture, autrement dit cooptation. Par habitude, peut-être par paresse intellectuelle, les prétendants à l’héritage gaulliste, du moins ce qu'il en reste, agitent le risque du retour au fameux « régime des partis ». Mais n’y sommes-nous pas depuis le mois de septembre 2024 ? Enfin, il serait bon de rappeler l’article 4 de la Constitution (25 fois révisée depuis 1958…), un article qui n’a pas bougé d'une virgule depuis l’entrée en vigueur de cette constitution : « Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage ».
Rappelons, enfin, histoire de « dézoomer » pour mieux comprendre l'enjeu de ce débat sur la proportionnelle, les résultats du premier tour des élections législatives de 2024, véritable photo en instantané des rapports de force politiques dans l'électorat : RN 29,26 %, NFP 28,06 %, Macronie 20,04 %, LR 6,57 % des suffrages exprimés...
Georges Michel