
Il est des lois votées avec de nobles intentions, mais dont les conséquences — ignorées dans l’instant, célébrées sur les plateaux télé — ne tardent pas à démontrer l’aveuglement qui les a enfantées. La redéfinition du viol non plus autour de la contrainte, mais du « non-consentement », appartient à cette catégorie de textes dont on n’a pas fini de mesurer les effets.
Sur le papier, tout paraît simple : il suffirait de poser un principe limpide — « Tout acte sexuel doit être consenti » — pour que la justice devienne plus efficace. Qui pourrait être contre ? Mais, le réel, toujours lui, vient brutalement rappeler que les relations humaines ne se résument pas à des formules.
Qui devra prouver quoi ?
Jusqu’ici, c’était à l’accusation de démontrer la contrainte, la menace, la surprise ou la violence. Désormais, la question se retourne : comment, dans un huis clos sans témoin, prouver l’absence de consentement ?
Et surtout : à qui revient cette preuve ?
À l’accusation, théoriquement. Mais comment prouve-t-on un non ?
Comment établit-on qu’un silence n’était pas un refus, qu’un geste n’était pas une hésitation, qu’une absence d’opposition n’était pas une incapacité de dire non ?
Et inversement, comment l’accusé pourrait-il démontrer un oui ?
Faut-il désormais garder une trace ? Enregistrer ? Filmer ? Signer ?
La simple présence de ces questions montre l’impasse.
Le mythe du consentement vérifiable
On voudrait croire qu’un consentement se valide comme un contrat. Mais la réalité humaine, elle, n’obéit pas à des cases à cocher. Le législateur, emporté par une vision théorique, oublie la complexité du vécu et de l’intime.
Dans la logique de cette loi, le consentement devient un objet juridique presque abstrait : un idéal dont nul ne peut réellement apporter la preuve. Tandis que l’accusation peut toujours invoquer un ressenti après coup — parfois parfaitement sincère —, l’accusé, lui, est dépourvu de tout moyen matériel pour se défendre.
La justice repose sur des faits. Le consentement repose sur une perception.
On demande à la justice d’arbitrer l’indémontrable.
Une loi qui risque d’affaiblir ceux qu’elle prétend protéger
L’intention est admirable : protéger les victimes.
Mais une loi mal calibrée risque de provoquer l’effet inverse : en multipliant les dossiers impossibles à établir, on surcharge les tribunaux, on banalise l’accusation, on perd ce qui fait précisément la force de la justice pénale : la certitude.
Le réel est plus cruel que les slogans : quand tout repose sur une impression, quand la preuve devient quasiment irréalisable, on affaiblit à la fois la parole des victimes et les droits de la défense.
Une justice ne peut pas juger sans critères objectivables
La contrainte, la violence, la menace — aussi difficiles soient-elles à établir — constituent des éléments vérifiables. Le non-consentement, lorsqu’il n’est pas exprimé verbalement ou physiquement, ne l’est souvent pas.
En prétendant simplifier, on rend la justice plus fragile.
Jean-Jacques Fifre