
L’image d’un consommateur de cannabis ou de cocaïne qui serait essentiellement urbain et aisé est battue en brèche par les études depuis plusieurs années.
Un aplomb stupéfiant. Au lendemain d’une réunion à l’Élysée consacrée au narcotrafic, et quelques jours seulement après le meurtre à Marseille du frère d’Amine Kessaci, Emmanuel Macron a fustigé ce mercredi 19 novembre en conseil des ministres les « bourgeois des centres-villes » qui financent « parfois » le narcotrafic, selon la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon. Et la même d’ajouter : « on ne peut pas déplorer d’un côté les morts et de l’autre continuer à consommer le soir en rentrant du travail ».
Une manière pour le président de renvoyer aussi aux consommateurs la responsabilité du trafic de drogue, mais aussi de pointer plus particulièrement sur certains usagers de drogues au capital économique élevé vivant dans des zones jugées cossues.
Ces derniers participent bien à l’économie du narcotrafic… mais comme le reste de la population. L’invective d’Emmanuel Macron apparaît un peu éculée dès qu’on se penche en détail sur les études très complètes des dernières années : la consommation de cannabis comme de cocaïne, touche en réalité aussi bien la ruralité et que les centres urbains, et s’infiltre désormais dans tous les niveaux sociaux.
L’insertion sociale protège mieux de l’addiction
En matière de qualité et de niveau de vie, les études vont toutes dans le même sens, l’emploi protège globalement mieux contre les comportements addictifs. Même la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) observe sur son site : « que les consommations de substances psychoactives notamment ont tendance à diminuer ou à s’arrêter avec une meilleure insertion sociale ».
Le cannabis demeure la substance illicite la plus consommée en France avec près d’un million d’usagers quotidiens. Selon l’Observatoire français des drogues et tendances addictives (OFDT), depuis dix ans la prévalence de sa consommation « s’est stabilisée à l’âge adulte, mais a fortement baissé à l’adolescence, allant de pair avec un vieillissement des usagers ».
Du côté des actifs, une étude publiée en 2021 par la Mildeca, portant spécifiquement sur leurs conduites addictives, relevait ainsi que les employés hommes sont les plus nombreux à consommer du cannabis plus d’une fois par semaine, suivi des femmes au statut d’ouvrier. À cet égard d’ailleurs pointe d’ailleurs l’OFDT, en 2024, « les personnes issues de milieux populaires, dès lors qu’elles sont confrontées à des problèmes de santé mentale ou à des conditions de travail difficiles, ont tendance à rapporter des consommations de cannabis plus élevées et plus durables ».
La cocaïne, en hausse partout
Quant à la cocaïne, l’explosion de sa production a contribué à un essor massif de la consommation en Europe. En France, son usage a été multiplié par dix entre 1993 et 2023. Elle est désormais le deuxième stupéfiant le plus consommé et menace même de détrôner le cannabis. Et ce, n’en déplaise à Emmanuel Macron, dans toutes les strates de la société.
« Alors que, dans les années 1980 et 1990, l’usage de la cocaïne concernait essentiellement des personnes de milieux sociaux favorisés, proches du monde du spectacle, ou au contraire des publics marginalisés en retrait du marché du travail (...) elle est désormais consommée au sein de nombreuses catégories de la population active (occupée ou non) », notait l’OFDT dans un rapport consacré à au marché de la cocaïne entre 2000 et 2022. L’observatoire y relevait même que la hausse « a été particulièrement marquée parmi les personnes sans diplôme ou ayant un diplôme inférieur au bac ». Le prix de la cocaïne ayant baissé de près de 30 % depuis 2012, elle est de fait plus accessible, et pas seulement aux « bourgeois » ciblés par le chef de l’État.
Si les hommes demeurent les premiers consommateurs tous stupéfiants confondus, l’OFDT donne raison peut-être raison sur un point au chef de l’État : chez les femmes « les cadres et les professions intellectuelles supérieures ont une proportion plus élevée d’expérimentatrices de cocaïne ». Quant aux secteurs professionnels concernés, celui des arts du spectacle figure régulièrement en haut des classements de prévalence, mais tout comme l’hôtellerie-restauration. Dans ce secteur, le salaire médian annuel oscille entre 25 et 30 000 euros bruts annuels.
L’ubérisation du territoire
Quant à la différence entre zones urbaines et rurales, elle s’estompe. Les grandes villes demeurent des aires de consommation traditionnelles, particulièrement pour la cocaïne, mais l’ubérisation du trafic touche désormais également les zones rurales et les petites communes. Et gage vraiment que tous les territoires sont concernés, une étude de 2013 menée à Lyon sur 1000 marins pêcheurs d’Aquitaine et de Charente-Maritime, a constaté « que les marins de moins de 35 ans étaient positifs à 46 % pour le cannabis et 8 % pour la cocaïne ».
Dès novembre 2015 d’ailleurs l’OFT battait en brèche l’idée reçue qui voudrait que « les communes rurales seraient par définition plus déconnectées que les métropoles du marché des produits illicites », et ajoutait « l’offre et la disponibilité des produits illicites y sont réelles [et] on y trouve peu ou prou les mêmes substances qu’en ville ». En revanche, les offres et dispositifs de soins et de réductions des risques y sont, eux, beaucoup moins présents. Sur ce sujet en revanche, point de discours élyséen.
Lucie Oriol