80e D-Day. Comment des habitants du nord de Caen ont vécu l'occupation allemande ?

Villons-les-Buissons, château des Buissons

Durant la guerre, l'occupation allemande a pris plusieurs formes dans le Calvados. Avant le D-Day, la cohabitation s'est tendue. Exemple au château des Buissons, au nord de Caen.

Dès le 18 juin 1940, Caen, déclarée ‘ville ouverte’, est sous occupation allemande, comme ses environs. Elle prendra fin dans l’été suivant le Débarquement, quatre ans après.

Comme l’écrit le docteur en histoire Valentin Schneider, dans son étude sur Les divisions allemandes en Basse-Normandie (Annales de Normandie, 2005, p.427-458), elle n’est « homogène ni dans le nombre et la densité, ni dans la nature et la durée de présence des différentes troupes ». 

« Pas des SS » à Villons-les-Buissons

Pour lui, « le cantonnement chez les particuliers est une composante importante dans la stratégie allemande d’occupation ». La priorité est claire :

Le logement des troupes allemandes se fait surtout selon les nécessités militaires et, seulement si cela est possible, en tenant compte des besoins de la population et des capacités des lieux.

Valentin Schneider, historien de la Seconde Guerre mondiale

Illustration en est donnée au nord de Caen (Calvados), en 1944. Le château du hameau des Buissons – propriété située à la lisière de Villons-les-Buissons – était le

Le récit de cet épisode a bercé la jeunesse de Cécile. Née en 1957, la petite-fille des propriétaires du château raconte l’Occupation. Les soldats de la Wehrmacht s’étaient arrogé une grande partie de la maison, reléguant à quelques pièces les propriétaires des lieux. Précision : « Ce n’était pas des SS. » Étiennette de Paix de Cœur, qui parlait leur langue et ne manquait pas de caractère, a su les mettre au pas, notamment pour qu’ils cessent de polluer le puits avec l’eau de leur rasage.

Son père, Oswald Martin d’Escrienne, vivait là aussi. Il avait fait la guerre 14-18, avant d’être nommé général dans l’armée française, ce qui lui valait d’être salué par les officiers allemands chaque fois qu’ils le croisaient dans la propriété. Mais lorsque les occupants ont souhaité poser en photo avec lui, l’arrière-grand-père de Cécile a rusé pour se dérober :

Il a découpé son uniforme pour rendre la photo impossible.

« 18 ans pour Hitler, 15 ans pour ma mère »

Malgré le contexte, les rapports entre cohabitants n’étaient pas dénués d’humanité. « Un jour, ma grand-mère demande son âge à un jeune Allemand. Il répond, les larmes aux yeux : ‘J’ai 18 ans pour Hitler, mais 15 ans pour ma mère’. » Étiennette de Paix de Cœur avouera à sa petite-fille : « Il me faisait de la peine avec son gros paquetage, il avait l’âge de ton père. »

Mais c’était bel et bien la guerre et l’ennemi œuvrait : « Quelques jours avant le Débarquement, les Allemands avaient commencé des travaux d’arasement d’une butte de terre à l’entrée du parc, pour y installer une batterie de DCA. Ils n’en ont pas eu le temps, heureusement, car le village aurait été bombardé et détruit. » 

« Nous n’aurons plus besoin de vélo »

Lorsque la famille comprit que le Débarquement avait eu lieu, les Allemands étaient déjà partis. Des Canadiens sont arrivés le 7 juin : « Ils se sont installés dans le parc du château et dans les champs des alentours où ils ont creusé des tranchées. »

La famille était chez elle, sauf François, le père de Cécile, alors âgé de 17 ans, en stage à Falaise. Cécile raconte : « Il a dû revenir à vélo sous les bombardements se cachant dans les haies pour éviter les bombes. Il s’est retrouvé nez à nez avec un Allemand, un déserteur sans doute, qui voulait lui voler son vélo. Mon père refuse et lui dit : ‘On est dans la même galère, on va mourir tous les deux sous les bombes et nous n’aurons plus besoin de vélo.’ L’Allemand l’a laissé partir. » 

Qui a volé les bijoux ?

Les combats à Villons-les-Buissons faisaient rage, les libérateurs, dont l’objectif était l’aéroport de Carpiquet, étaient empêchés d’avancer, se heurtant à la ligne antichar érigée entre Villons-les-Buissons et Buron.

Les habitants du village regroupés au château ont reçu l’ordre d’évacuer. Avant de partir et de remonter à l’étage pour réparer un oubli, la grand-mère de Cécile cache un écrin sous la cage d’escalier. En redescendant, elle constate que les bijoux ont disparu. Elle n’a jamais su qui les lui avait volés, un Français ou un Canadien. Elle disait : « ‘Ce sont les déboires de la guerre.’ Aujourd’hui, il nous reste l’écrin vide, avec un mot d’explication de ma grand-mère. » 

La mascotte des soldats canadiens

La famille de Paix de Cœur a noué une belle amitié avec les libérateurs. « J’avais 11 ans la première fois que j’ai rencontré les vétérans. M. Lemarinier, qui était maire à l’époque, m’a proposé d’échanger avec eux puisque j’apprenais l’anglais. » C’est ainsi que le club des vétérans a fait de Cécile la « mascotte des Glens ».

À ce titre, la Villonnaise a été reçue à plusieurs reprises au Canada, seule ou avec son père, toujours avec ferveur. En Normandie, Les Glens furent souvent les hôtes du château des Buissons. Notamment Max Sexsmith, qui, devenu ami, a souhaité dormir dans une des chambres dont il avait ouvert les portes à coup de ‘boots’, le 7 juin 1944, pour vérifier que des Allemands ne s’y cachaient pas.  « Quand il est revenu, il se souvenait parfaitement où était celle dont il avait fendu le bois, et qui l’est toujours. »

Au-delà de l’hospitalité, François de Paix de Cœur, maire de Villons-les-Buissons de 1981 à 1995, a fait nommer deux rues au nom des libérateurs – les Glengarrians et les Sherbrooke Fusiliers. De ses mains, avec son fils Gilles, en bordure de la propriété, il a érigé le monument du Hell’s Corner, ce coin de l’enfer qui rappelle les terribles combats de l’été 44.

80 ans plus tard, Cécile de Paix de Cœur-Lacroix correspond toujours avec les familles de Reg Dixon, Ray Practor, John Pasquino, etc. Elle a offert le kilt de leur régiment au Mémorial de Caen. Sa mère Annick, âgée de 87 ans, habite toujours la maison familiale à Villons.

La Rédaction

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 31/07/2024

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