Noémi Lefebvre, une écrivaine venue à la Belle-de-mai faire parler les murs

MARSEILLE Culture ...

L

Le projet d'écriture

Marseille 3 serait une écriture non psychologique, non auto-fictionnelle, mais collée au dehors, à la topographie urbaine et sociale, une sorte d'enquête de surface, moins systématique et moins quantitative que celles, si exemplaires, de Perec, et dont je ne pourrai définir les modalités qu'à mesure que je m'amène, sans renoncer a priori à des dégagements fictionnels imprévisibles à ce jour, où à un retour soudain de ce fonds de sciences sociales qui me permet d'être moins aveugle au réel, mais en tant que matériau fictionnel, et non comme forme principale. 

Note d'intention de l'autrice

C'était au carrefour de la rue du 141e RIA et de la rue de Crimée.

Il y avait pas mal de problèmes dans le monde et beaucoup de choses devenaient difficiles à maitriser.

L'année des périls sanitaires et sociaux m'avait fait perdre le goût de ma mission sur terre.

Je me sentais flotter dans ma bagnole trop grande, le volant était lourd, les pédales étaient molles, je devais repasser chez les filles rue de Crimée. Je n'avais pas remarqué que je descendais la rue du 141e RIA. Je ne me souvenais pas, ce matin-là, du 141e RIA.

Dans la déroute ambiante avec ses morts décomptés tous les jours par milliers, j'avais, j'avoue complètement oublié l'Infanterie marseillaise.

Je n'ai jamais bien connu l'histoire des régiments, je le connaissais de nom, c'est toout, et ne savais pas pourquoi cette rue et pas une autre était devenue la rue du 141e RIA.

Je conduisais sans conscience de l'histoire. Je pense que j'avais aussi, ce jour-là, une inconscience du moment présent puisque je n'avais pas remarqué le feu au croisement de la rue de Crimée. Je commençais à peine à tourner à droite quand un gars m'a foncé dessus.

Le gars avait bousillé ses ailes en voulant m'éviter. Il avait légèrement embouti une camionette mal garée, sur la gauche. Mais il était tranquille, il avait un bracelet électronique, il disait ça va aller, c'est rien de grave.

Les filles allaient m'aider à trouver quelqu'un pour tout réparer. Elles ont trouvé Momo.

Elles ont fait le tour des casses avec Momo pendant que je me sentais mal à cause de tous les problèmes dans le monde. Je reviens maintenant sur les lieux de l'accident, pas pour en comprendre le sens, il n'en a aucun, ni pour tenter une littérature de carrefour, j'en serais incapable.

Je n'ai aucune constance, je ne sais pas observer le même endroit des heures durant comme Perec au carrefour Mabillon, je n'aime pas les contraintes et je n'ai aucune patience. et puis je ne crois pas que la sociologie urbaine ait bien résisté à la fonte des glaciers.

Je reviens pour passer du temps dans Marseille 3 sans ambition de comprendre, mais pour sentir ce que ça fait de ne pas vivre ici.

Date de dernière mise à jour : 07/04/2024

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