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ÉCONOMIE : Une entreprise de l’industrie de défense française bientôt américaine ?

Le fabricant de robinetteries Segault, une PME française qui équipe nos sous-marins nucléaires, le porte-avions Charles-de-Gaulle et de nombreuses centrales nucléaires, devrait passer prochainement sous pavillon américain, a rapporté La Tribune, le 25 mars dernier.

Fondée en 1921, l’entreprise fait partie de notre Base industrielle et technologique de défense (BITD), le « terreau de notre souveraineté », comme le souligne la Direction générale de l’armement (DGA) qui, dans ses communications, se félicite que la France puisse s’appuyer sur « une industrie compétitive et pérenne composée d’environ 9 grands groupes et plus de 4.000 PME, dont 450 sont considérées comme stratégiques ».

Produire en France l’essentiel des équipements nécessaires à nos armées constitue, en effet, un enjeu fondamental d’autonomie stratégique. Mais cela ne suffit pas, encore faut-il que nous puissions conserver la maîtrise de l’actionnariat et de la propriété intellectuelle face aux intérêts étrangers. Ce qui nécessite de porter une attention constante à ce secteur et au tissu économique qui le compose. Si Ségault est bien basé à Mennecy, l’entreprise est détenue majoritairement depuis 2007 par le groupe canadien Velan, qui est aujourd’hui racheté par une entreprise texane de plomberie industrielle, Flowserve. L’opération devrait être finalisée à la fin du deuxième trimestre 2023. D’après les informations recueillies par La Tribune, l'État serait actuellement à la recherche d'une solution de rachat par un actionnariat français.

NEW YORK

En 2020, c’est une autre PME, la société Photonis, basée à Brive, spécialisée dans les technologies de vision nocturne et également impliquée dans le domaine du nucléaire, qui avait failli être rachetée par l’Américain Teledyne. À l’époque, plusieurs élus, dont le député de Vaucluse Julien Aubert ( LR ), avaient interpellé le gouvernement. Celui-ci était finalement intervenu au nom des impératifs de protection de la souveraineté économique et industrielle française de défense. L’entreprise avait été reprise par HLD, un fonds d’investissement dirigé par l'ancien président du directoire de Wendel, Jean-Bernard Lafonta.

Il n’en est malheureusement pas allé de même concernant l'entreprise française de technologie Exxelia, qui fabrique des composants électroniques pour l’aéronautique civile et militaire ainsi que pour l’aérospatiale. Après avoir été détenue majoritairement par le fonds anglais IK Partners, elle a été récemment rachetée par le groupe américain d'électronique et de défense Heico. « Le gouvernement ne s'est curieusement pas mobilisé pour cette ETI [Entreprise de taille intermédiaire] française, devenue pourtant un fournisseur clé de l'industrie de défense française », s’est étonné le journal économique Les Échos. En effet, en décembre dernier, Bruno Le Maire avait pourtant annoncé qu’il allait prolonger le plafond de contrôle des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques à 10 % jusqu'à la fin de l’année 2023. Ce seuil, qui était auparavant fixé à 25 %, avait été abaissé en 2020 à la suite de la crise du Covid-19 qui avait affaibli de nombreuses entreprises. « Dès qu'une entreprise veut prendre 10 % du contrôle d'une entreprise française, j'ai la possibilité de m'opposer à cette prise de contrôle », avait déclaré le ministre, sur Sud Radio.

Exxelia a quand même fini entre des mains américaines. Avant que l’affaire ne soit finalisée, le délégué général à l'Armement français, Emmanuel Chiva, s’était voulu rassurant concernant Heico, indiquant que le groupe était « très favorablement connu du ministère » et qu’il apporterait « toutes les garanties nécessaires à la compartimentation de ses activités, afin de conserver notre souveraineté dans les approvisionnements de cette société vis-à-vis de nos systèmes d’armes ».

Le RN, après une violente passe d’armes à l’Assemblée nationale entre le député Alexandre Loubet et Bruno Le Maire, avait demandé au gouvernement de faire usage du décret relatif aux investissements étrangers en France pour s’opposer à la vente d’actifs stratégiques. La proposition de résolution présentée par le RN à l’époque avait rappelé les nombreuses pépites françaises acquises ces dernières années par des groupes étrangers : Alstom, Alcatel, Technip, Lafarge ou encore Latécoère. Des prises de capitaux de nos fleurons stratégiques qui « menacent notre souveraineté nationale, bradent de nombreux savoir‑faire et brevets stratégiques à des puissances étrangères et participent bien souvent de la désindustrialisation du pays et de la perte d’emplois dans le secteur », ajoutait le RN.

Comme le notent de nombreux analystes, un des principaux dangers liés à ce type de rachat provient de l’usage, par les États-Unis, de la notion d’extraterritorialité du droit américain leur permettant, notamment, de refuser d’accorder des licences d’exportation. En 2018, l’administration Trump avait bloqué la vente de Rafale à l’armée de l’air égyptienne. Washington avait invoqué la réglementation ITAR (International Traffic in Arms Regulations) en s’appuyant sur le fait que les missiles qui équipaient les avions de combat français, fabriqués par MBDA, une entreprise européenne basée en France, contenaient un composant… américain.

Cinq ans plus tard, et malgré les déclarations grandiloquentes du gouvernement sur le développement d’une « industrie de guerre » et la nécessaire défense de notre souveraineté, le possible rachat de Segault par un groupe américain, après celui d’Exxelia, démontre notre fragilité persistante.

Frédéric Lassez

Date de dernière mise à jour : 30/03/2023

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