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COVID 19 : avant de se dissoudre, le Conseil scientifique reconnait son instrumentalisation

«On a partagé beaucoup de défaites et de succès, de relations parfois compliquées avec le politique. Nous avons appris à avoir de l’humilité, à dire quand on ne savait pas», se remémore le président du Conseil scientifique sur le Covid-19, Jean-François Delfraissy. Ce dernier a annoncé la fin au 31 juillet prochain du mandat de son conseil mis en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence face à la crise sanitaire. Avec un certain soulagement, note-t-on lors de la conférence de presse d’adieu donnée par ses membres ce jeudi.

Jean-François Delfraissy parle ainsi d’un «travail assez intensif» avec 300 réunions, pour plus de 80 avis ou notes en deux ans et quatre mois. Dans son dernier avis daté du 19 juillet et publié le 20, le Conseil donne sa feuille de route pour la suite. Il appuie sur quelques points qui ont eu du mal à être entendus par le gouvernement.

JEAN FRANCOIS DELFRAISSY

Ainsi, le Conseil scientifique rappelle que les mesures sanitaires servent à protéger les personnes les plus à risque, qui ne sont pas seulement les personnes âgées. «Les immunodéprimés représentent jusqu’à 40 % des hospitalisations en réanimation», souligne l’anthropologue du conseil, Laetitia Atlani-Duault. «Le Covid est une maladie de la pauvreté», ajoute Jean-François Delfraissy. Lors de la première vague, la surmortalité était de 134 % en Seine-Saint-Denis contre 99 % pour Paris. En somme, cette épidémie est un test grandeur nature de notre solidarité nationale. «Il faudrait un débat de société sur le niveau de morbidité et de mortalité que l’on accepte par rapport au niveau de restriction que l’on est prêt à accepter», commente l’épidémiologiste Arnaud Fontanet.

Manque de culture scientifique

Même s’il refuse de tirer un bilan de son expérience à l’heure de passer la main, Jean-François Delfraissy concède que le conseil a «sûrement» été instrumentalisé. «Par nous, par vous [les médias, ndlr], par les politiques», ajoute-t-il. On rappelle que le gouvernement a systématiquement publié les avis du Conseil après l’annonce des décisions prises, diminuant d’autant plus leur écho médiatique. Cela n’a pas empêché certains médias de s’appuyer sur ces documents touffus pour nourrir une critique argumentée de la gestion de la pandémie par les pouvoirs publics.

Le Conseil donne enfin quelques pistes pour améliorer les relations entre la communauté scientifique et le monde politique à l’avenir. Car si l’instance disparaît, un «comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires» placé auprès des ministres chargés de la santé et de la recherche devrait voir le jour. Il faisait l’objet d’un article, retiré depuis, dans le projet de loi «de veille et de sécurité sanitaire» tel qu’il a été déposé au Conseil d’Etat.

«Ce comité doit permettre d’éclairer les pouvoirs publics dans leur démarche de surveillance de l’évolution de l’épidémie de Covid-19 mais aussi, plus largement, d’identification et de suivi des autres menaces sanitaires auxquelles le pays pourrait être confronté à l’avenir», note le Conseil d’Etat. Le Conseil scientifique insiste sur l’importance de la pluridisciplinarité et de la diffusion large de ses avis.

Le ministère de la Santé évoque pour Libération un futur comité créé «sur les mêmes principes d’indépendance, de transparence et d’agilité». Il aura un rôle de veille, d’anticipation des crises mais aussi de conseil lorsqu’elles surgiront. Il aura une approche globale de la santé, car «les risques sont non seulement infectieux mais aussi liés à la qualité de l’air, de l’eau et de la terre, et à l’impact du changement climatique», précise le ministère.

Il émet aussi une recommandation pour la création d’un Conseil de la science pour «essayer de rapprocher les plus grands scientifiques français dans leur domaine et les plus hautes autorités de ce pays», selon Jean-François Delfraissy. C’est peut-être la grande leçon cette crise sanitaire : le manque de culture scientifique des politiques de tous bords en France. Il serait temps d’y remédier.

Olivier Monod

 

Date de dernière mise à jour : 09/04/2023

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