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Les terroristes, certes. Mais les colons ?...

Une interview radiophonique récente illustre le malaise grave qui affecte le débat hexagonal sur le conflit en Israël-Palestine. Or, la Présidente de l’Assemblée Nationale ne contribue nullement à l’apaiser.

Équilibré, dites-vous…

Le 23 octobre, dans le Grand Entretien du 7-10 sur France Inter, j’ai bien écouté (et même réécouté sur Internet pour écrire cet article) Yaël Braun-Pivet qui rentrait d’un voyage en Israël, où elle était allée assurer ce pays de la solidarité « inconditionnelle » de la France après les massacres abominables qu’il a subis le 7 octobre.

 Elle accuse certains partis de ne pas vouloir mettre des mots sur les horreurs perpétrées par le Hamas, ce en quoi elle a raison. Se refuser à qualifier de terroristes les massacreurs du Hamas, c’est effectivement cultiver une coupable ambiguïté.

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Cependant, cette ambiguïté est-elle le seul fait d’une partie de LFI ? En tant que Présidente de l’Assemblée Nationale, Mme Braun-Pivet se dit représentante de la nation, voulant « porter une voix équilibrée ». Malgré l’émotion audible (et visible) de l’invitée, Léa Salamé ose quand même lui demander si parler de « soutien inconditionnel » de la France à Israël est une position équilibrée, citant sa déclaration : « Rien ne doit empêcher Israël de se défendre ». À cela, Mme Braun-Pivet répond qu’elle ne soutient pas inconditionnellement le gouvernement d’Israël mais le droit d’Israël à exister. Elle prône l’existence de deux États, y compris un État palestinien. Elle précise qu’elle demande le respect du droit international et du droit humanitaire. Dont acte. Mais l’a-t-elle dit à Benjamin Netanyahou ? Si oui, il s’agit alors d’un soutien conditionnel – très conditionnel.

Une vacuité suspecte

Ce qui m’a frappé, c’est que, face aux questions des journalistes, elle s’est contentée de généralités sur le respect des civils, sur l’aide humanitaire. Quand elle est interpellée par un auditeur sur les colonisations illégales faites par Israël en Palestine, elle appelle de ses vœux les conditions de l’établissement d’une « paix durable » mais en restant dans l’abstraction la plus totale, y compris quand Léa Salamé évoque la centaine de Palestiniens tués (et 1200 blessés) par des colons israéliens en Cisjordanie depuis le 7 octobre, qualifiant cela de « tensions sur plusieurs fronts », qui sont « une vraie préoccupation ».

 « Les mots et les actes comptent », dit Mme Braun-Pivet. Or, ses mots ne sont d’aucun poids et donc, paradoxalement, par leur apesanteur ils déséquilibrent le fléau de la balance. En voici un superbe exemple : « La politique menée sur la colonisation ces dernières années a probablement attisé un certain nombre de tensions et de rancunes. »

 Ensuite, elle se demande pourquoi, la concernant, « c’est surtout [son] identité juive qui ressort. » Elle se dit française, non pratiquante et non croyante. Certes. Pourtant, comment arriver à croire qu’elle ne réagit pas davantage avec ses origines (dont je précise qu’elles sont éminemment respectables, ça va sans dire) qu’avec sa fonction ou même sa nationalité ? Moi qui suis protestant, lecteur de la Bible, qui lis la Torah et crois Celui qui l’a inspirée davantage que Mme Braun-Pivet, devrais-je, comme certains de mes coreligionnaires surtout américains, réagir par un « soutien inconditionnel » à Israël ?

Être juif lucide

 Il est absolument clair qu’on ne peut ni ne doit attaquer qui que ce soit sur ses origines. En revanche, nos origines (gauloises, maghrébines, sub-sahariennes, vikings, allemandes, ukrainiennes, russes, mexicaines, nipponnes, chinoises, etc.) nous influencent. Encore faudrait-il qu’elles n’influencent pas à l’excès notre jugement, surtout quand on a des fonctions politiques. Gérard Miller, Jacques Attali, Jean-François Kahn, Alain Bauer, etc., savent prendre de la distance par rapport au pouvoir israélien. Et, je l’ai dit ailleurs, il y a des Juifs (notamment des Juifs religieux) qui sont antisionistes. Il serait d’une absurdité monumentale de les taxer d’antisémitisme ! Le problème, c’est que, lorsque les origines juives biaisent la lucidité politique, elles donnent des prétextes aux antisémites. Et c’est à cause de ce fonctionnement qu’on se retrouve avec une Première Ministre et un Ministre de l’Intérieur qui ont interdit les manifestations en faveur des populations de Gaza sous prétexte de risque de dérives antisémites.

 Mme Braun-Pivet dit être allée manifester avec ses cinq enfants pour Charlie Hebdo. Mais qui ne voit qu’on ne peut guère davantage critiquer Israël qu’on ne peut caricaturer Mohammed ? Pourquoi LCI titrait-elle avec insistance, le 22 octobre au soir, sur un soldat israélien tué lors d’une opération commando alors que, dans le même temps, mouraient des dizaines, peut-être des centaines d’enfants gazaouïs pour cause de bombes israéliennes ou d’eau croupie pour cause de blocus israélien ? Il n’y a pas qu’à LFI que la compassion est sélective. Quand, dans ce pays, va-t-on pouvoir discuter sainement, avec des arguments raisonnés, sans être soupçonné de malhonnêteté ou menacé d’un procès ?

 Oui, Monsieur Mélenchon devrait dire que le Hamas est une entreprise terroriste et qu’il ne mérite aucun qualificatif honorable.

 Et, oui, Madame Braun-Pivet devrait dire, tout autant, que les opérations de colonisation sauvage menées par Israël sont du vol « pur » et simple, que les représailles collectives ou les assassinats de Palestiniens peu ou pas punis sont ignobles, et que tout cela n’a pas « probablement attisé des tensions » mais assurément alimenté une révolte de fond, dont on voit les résultats aujourd’hui.

 En fait, cela me rend triste. Je ne soupçonne Mme Braun-Pivet d’aucune malveillance.

Mais je pense qu’elle devrait se tenir en retrait du débat parce qu’elle y est trop impliquée dans sa chair. Je suis citoyen français autant qu’elle, et je ne pense aucunement qu’elle ait porté en Israël la voix de la majorité de mes compatriotes – une moitié tout au plus.

Pale Rider

Date de dernière mise à jour : 24/10/2023

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