Margo Chou à l'Estaque

C’est heureux que la salle de l’Harmonie possède sa propre gare à l’Estaque.

Il suffit de prendre le train pour débarquer directement dans un autre monde. Tchou Tchou. Je suis accompagné de Bruno. Il porte la même tenue de soirée que sur la photo d’Emilio Guzman. On parle de son bouquin qui est à l’honneur du Canard Enchainé ce mercredi 13 mars. On a failli manqué le train. On part à l’aventure. On quitte la Plaine. On croit arriver dans un bistrot de peintres, on arrive dans une salle vieille de 200 ans dominant l’ Estaque, puis les portes franchies et un Casa enfilé, enfin deux, soyons honnêtes, -il y avait des addictologues dans la salle- on se retrouve dans un cabaret de Bosnie-Herzégovine. Ah le souvenir de l ‘Harmonie quand il y avait des bals et maintenant c’est au tour des Balkans. J’espère un verre de Raki. Non. Des tables à quatre péquins attendent le public, une musique d’Europe de l’est fait patienter mais mieux qu’au bigophone et puis on s’installe, public regardant le public. On ne peut s’empêcher d ‘épier les regards des autres sur le masque de Margo Chou qui nous dévoile l’histoire de son travail. Elle joue à ne pas nous mentir, à raconter son chemin vers ce dédoublement qui la ramène à elle même. Elle parle, elle parle…on est venus pour ça, pas pour un mime.

Ça commence en vrai, avec une phrase en serbo-croate. Une seule, c’est un bon début pour rencontrer les gens. Après on se fait l’effet d’une usurpatrice, pas triste en pays titiste.. De celle qu’on connait quand on voudrait changer la vie des gens. Mais que rien ne change.

Certains rêvent des Caraïbes, du Canada ou des Iles sous le vent, Margo, c’est la Bosnie qui l’emporte en voyage. Au dessus des capitales, des idées fatales…

Mes châteaux d’If:  Margo Chou à L’ESTAQUE.

Margo dialogue avec la chanteuse yougoslave Ljiljana Butler. Une voix grave, délicieuse. Inconnue pour nous. Chanteuse depuis ses 12 ans, chantant plus tard le Sevdah, un blues slave, une chanteuse perdue redécouverte par Dragi Sestic après que la chanteuse soit partie en Allemagne et changé son nom de Petrovic en Butler. En Germanie, elle devient serveuse, femme de ménage; on ne chante plus.

Margo Chou joue à deux voix. La sienne bavarde, intarissable, digressive. On retrouve Margo qui ne peut faire autrement que de nous livrer tout ce qui lui passe par la tête. Prodigieux. Alors l’histoire de la chanteuse bosniaque s’enroule autour de la sienne, de ses propres racines, de sa famille banale qui n’a de liens qu’avec la Normandie. Pas mieux. Margo aurait rêvé mieux. Mais l’exil c’est aussi l’enfer. Celui des chambres vides, d’ennuis interminables quand on prend des avions pour des villes inconnues. Histoire d’un déracinement inévitable mais douloureux.

Margo étouffe avec les gens ou la famille mais s’ennuie sans eux. Les aime mais comme Hiam Abbass dans le documentaire Bye Bye Tiberiade, crève si elle reste avec eux. Il faut donc fuir et être condamnée à se chercher une autre famille, d’autres attaches plus libres. Être différente c’est aussi être malheureuse avec des moments de bonheur incroyables.

Margo/Ljiljuana circule autour de nous, inquiète un peu les spectatrices, touche quelques assis, remonte dans son siège de plateau cinéma, s’installe dans un fauteuil de psychanalyste ou de dentiste, revient à sa coiffeuse ou elle essaye des perruques. Elle interroge le mensonge du spectacle.

On rit parfois, on s’interroge sur sa propre famille, sur nos liens. On fait le bilan en moins d’une heure. Le cabaret s’achève par le départ de Margo qu’on imagine avoir repris un train vers Sarjevo. Tout est possible de l’Estaque Gare.

Gabriella après le départ de Margo, nous propose de manger. Ouf, les entrailles exposées de Margo nous ont donné faim.

Merci à Margo de nous avoir fait découvrir Ljljana Butler, merci Ljiljana de nous avoir ouvert le cœur de Margo Chou un 8 mars dans le cadre de Lieux Publics.

Christophe Goby

 

Date de dernière mise à jour : 28/03/2024

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